Il est impossible d’envisager l’ensemble des comportements humains susceptibles de donner lieu à dépendance : parti est donc pris de n’en évoquer que quelques-uns, à titre d’exemples en prise sur la société ou sur l’actualité, en optant pour des addictions comportementales (les usages problématiques de tabac, d’alcool, de substances psychoactives ayant été évoqués à d’autres reprises).
Dépendance aux jeux de hasard et d’argent. La première enquête épidémiologique nationale sur les jeux de hasard et d’argent fut conduite dans le cadre de l'enquête 2010 du Baromètre santé de l'INPES. Un joueur actif (régulier et/ou dépensier) a joué au moins 52 fois au cours des 12 derniers mois (joueur régulier) et/ou a misé au moins 500 euros au cours des 12 derniers mois (joueur dépensier). C’est au sein de la population des joueurs actifs que l’on peut estimer le nombre de joueurs à risque modéré et de joueurs excessifs, constituant ensemble le groupe des joueurs problématiques.
- Jeux « traditionnels ». Environ un Français de plus de 18 ans sur deux a joué à un jeu de hasard et d’argent (JHA) au cours des 12 derniers mois, dont une majorité le fait exceptionnellement, n’investissant que d’assez petites sommes d’argent. Environ 11 % de la population joue à un rythme au moins hebdomadaire et environ 5 % dépensent plus de 500 euros dans l’année. Environ 1 % des joueurs (soit 400 000 personnes) présentent un risque modéré de dépendance et 0,4 % sont des joueurs excessifs, soit 1,3 % de joueurs dits problématiques (selon l’Indice canadien du jeu excessif ICJE utilisé comme outil en France).
- Jeux en ligne. Depuis l’ouverture en 2010 du marché des jeux sur Internet pour les paris sportifs et hippiques et le poker, deux enquêtes spécifiques ont été menées en 2012. Ainsi, en 2012, quelque 4 % des personnes de 18 ans et plus ont déclaré avoir joué en ligne au cours des 12 mois précédant l’enquête (environ 2 millions de personnes), dont un quart seulement sont des joueurs exclusifs sur Internet. La majorité des joueurs pratique occasionnellement puisque 55 % jouent moins d’une fois par semaine. Ici aussi, la pratique est surtout masculine mais il s’agit d’une population plus jeune, davantage diplômée et appartenant à des catégories sociales supérieures. Chez les adolescents de 17 ans, l’enquête ESCAPAD (2011) a montré que, bien qu’interdite aux mineurs, la pratique de jeux en ligne est déclarée par 14 % des joueurs dans l’année, ce qui suppose des stratégies de contournement. Un quart environ de ces joueurs présentent un risque faible de développer des problèmes, 10 % sont tenus comme joueurs à risque modéré et 7 % comme des joueurs excessifs. Ces données confirment que les activités de jeu sur Internet sont plus à risque que les activités de jeu traditionnelles.
Au total, la France compte environ 200 000 joueurs excessifs et un million de joueurs à risque modéré. Selon l'association « SOS Joueurs », 80 % des joueurs addicts sont endettés et 20 % de ceux-ci commettent des délits à visée acquisitive (abus de confiance, vol, contrefaçon de chèques…).
Cyberdépendance. Le psychiatre américain Ivan K. Goldberg (1934-2013) définit en 1995, d’une façon qui se voulait à l’époque un peu ironique mais qui trouve aujourd’hui toute son acuité, les critères d’un Internet Addiction Disorder (IAD). Ayant peu évolué ces critères font du cyberdépendant un sujet qui ne peut se passer d’un recours excessif aux technologies de la communication et de l’information (Internet), même au prix d’un désinvestissement des liens socioprofessionnels et de la négligence de sa vie sociale et familiale. Dérivant logiquement de cette cyberdépendance, la dépendance au téléphone mobile ou à la tablette est désormais objet d’études épidémiologiques nombreuses soulignant sa pregnance dans la société.
Le portrait type du cyberdépendant est celui d’un jeune adulte de sexe masculin (70 % des cas) ayant un QI supérieur à la moyenne, restant devant son écran en moyenne 40 heures chaque semaine, qui décrit trois aspects prédominants de son vécu : idée de communauté (rencontre d’« amis » on line), réalisation de fantasmes (adoption de nouvelles personnalités ou « avatars », pratique d’une sexualité virtuelle), sensation de toute puissance, de pouvoir (accès instantané à l’information et à de nouvelles personnes). Il présente souvent une conduite polyaddictive, mêlant l’addiction au web à d’autres addictions comportementales en ligne (dépendance aux JHA, achats compulsifs, sexualité, etc.). La prise en, charge de ce comportement passe notamment par des thérapies de groupe (type groupes de parole anonymes).
Un type particulier de cyberaddiction pose un problème social émergeant : celui de la dépendance des adolescents aux jeux vidéo et plus particulièrement aux jeux de rôle en ligne (MMORPG = Massively multiplayer online role-playing game). Seulement accessible par un réseau, leur univers existe et évolue en permanence, que des joueurs y soient connectés ou non (univers « permanent ») et il est accessible à plusieurs millions d’internautes simultanément. Le joueur, représenté par son « avatar », interagit aux côtés d’autres avatars dans un monde d’aventures, de combats, de défis, etc. Les conditions (découverte, défis, émulation et communauté par le groupe, monde sans limites d’espace ou de temps) sont réunies pour que la pratique devienne une obsession addictive. Le joueur redoute de laisser son avatar seul dans un univers qui évolue en permanence. De plus, seul le jeu actif augmente la « puissance » de l’avatar. Enfin, le jeu crée une communauté rassurante puisque le joueur interagit aux côtés d’autres passionnés avec lesquels il doit se coordonner et avec lesquels il peut échanger. Un sujet jeune, en situation d’échec, dépressif, anxieux ou ayant le culte de la performance, risque de se réfugier dans cet univers virtuel, y augmentant la puissance de son avatar, étant reconnu par les autres joueurs, alors même qu’il « décroche » de sa vie sociale et devient totalement dépendant de son écran, pouvant y passer plus d’une dizaine d’heures quotidiennement malgré des conséquences négatives. Selon une Expertise collective (Inserm 2014), 5 % des jeunes de 17 ans joueraient aux jeux vidéo entre cinq et dix heures par jour. L’OMS inclura les troubles provoqués par le jeu vidéo (Gaming Disorder) en 2018 dans la 11e révision de la Classification Internationale des Maladies (International Classification of Diseases = ICD).
Achats addictifs. La conduite d’achat pathologique se traduit par un besoin irrépressible d’acheter des objets variés indépendamment de tout besoin ou utilité, sans commune mesure parfois avec les moyens financiers dont on dispose, dans un contexte de tension psychique subsistant jusqu’à l’achat. L’envie resurgit quelques heures, quelques jours ou quelques semaines plus tard. L’achat est le temps de la réalisation d’une impression de toute-puissance, à laquelle succèdent rapidement culpabilité et regret. Les acheteurs pathologiques ont souvent initié leur pratique par le vécu de sensations agréables, tranquillisantes lors des premiers temps de leur addiction.
Les achats corrélés à un trouble de l’humeur sont limités par un traitement pharmacologique adapté. Surtout, les patients ayant accumulé des dettes par achats compulsifs doivent bénéficier d’une thérapie de groupe (ex : association « Débiteurs Anonymes France ») ou d’une thérapie cognitivo-comportementale.
Dépendance au travail (workaholisme, ergomanie). Le sujet workaholic (néologisme américain formé à partir de work = travail) s’investit de façon à ce point excessive dans son travail qu’il finit par entretenir avec lui un rapport de dépendance pathologique. Anxieux, il est aussi perfectionniste, hyperactif, vit dans un sentiment d’urgence permanent, a l’esprit de compétition, de fortes ambitions professionnelles et a des difficultés à gérer ses loisirs (il consultera par exemple sur la plage les courriels reçus professionnellement). Son occupation apaise, du moins un certain temps, ses tensions psychiques. Ce comportement pathologique mérite d’être distingué d'une approche simplement « passionnée » du travail : le sujet workaholic appréhende de déléguer son travail et s'intègre mal dans une équipe (d’où de fréquents conflits avec ses collègues).
Le workaholisme induit fréquemment une altération de l’état de santé (fatigue chronique, anxiété, dépression allant jusqu’au burn-out, céphalées persistantes, ulcère gastro-duodénal, etc.) accompagnée d’une dégradation de la vie relationnelle. Il se solde par un épuisement extrême avec dépression pouvant aller jusqu’à la mort par suicide ou arrêt cardiaque (karōshi décrit au Japon), ou avoir des conséquences sociales dramatiques. Sa prévalence serait d’environ 5 % dans la population générale active des pays industrialisés.
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