Le back-office est-il le parent pauvre de la digitalisation de l’officine ?
Tout attirés qu’ils sont par la digitalisation des activités liées aux patients et aux clients, les pharmaciens ont tendance à oublier que les avantages liés aux nouvelles technologies peuvent aussi concerner leurs activités en back-office. Ils l’oublient d’autant plus facilement que ces activités sont gérées depuis longtemps par le LGO (logiciel de gestion d’officine). Deux arguments viennent cependant rappeler l’importance du digital pour le back-office. D’abord parce qu’un front office digitalisé efficace ne peut se concevoir sans un back-office optimisé. Et quoi de mieux que le digital pour le faire ? C’est le raisonnement avancé par Camille Freisz, fondatrice de Valwin, start-up âgée de cinq ans : « un back-office bien structuré est dans l’intérêt des pharmaciens, et les sujets sur lesquels nous travaillons, la délivrance, la réservation d’ordonnances, le click & collect notamment, nous ont amenés à construire ces liens entre le front et le back-office. » Ensuite tout simplement parce que de nombreuses entreprises se sont emparées du digital pour créer de nouvelles applications dédiées à l’univers professionnel, des entreprises mais aussi les groupements qui proposent de plus en plus d’outils partagés à leurs adhérents. Ce serait dommage de passer à côté.
Pluie d’innovations
Le digital est entendu ici comme les nouvelles technologies permettant une amélioration constante des performances des applications et des systèmes, ouvrant de ce fait de nouveaux horizons. Un exemple parmi tant d’autres, la société Medcycle qui a lancé au printemps 2018 son système de gestion du déstockage pour valoriser et échanger ses invendus. Cette plateforme de troc moderne permet d’échanger des produits sur la base d’un prix proposé, avec une remise par rapport au prix d’achat, le Doliprane servant de variable d’ajustement puisqu’il y aura toujours une différence entre la valeur d’un stock et celle d’un autre. « Nous avons fait économiser quelque 225 000 euros à plus de 400 pharmacies depuis avril dernier », affirme Pierre Delpey, le fondateur de la start-up, qui précise aussitôt que ce système d’échanges est tout à fait légal puisqu’il n’y a aucune transaction financière entre les pharmaciens, interdite par le Code de la santé publique. Une initiative originale perçue même parfois comme un enjeu de santé publique puisque toujours selon Pierre Delpey, il est arrivé que des patients puissent bénéficier d’un médicament, en l’occurrence le Protec, en rupture de stock. Des applications innovantes, il y en a beaucoup et elles concernent tous les aspects de back-office : « le recrutement tout d’abord, qui est en train d’être révolutionné par les outils du Web », selon Sophie Gillardeau, consultante indépendante en transformation de la pharmacie, « les ordonnanciers, la gestion des plannings, le pilotage de l’officine… »
On évoquera aussi la robotisation, forcément innovante pour un back-office, mais bénéficiant déjà d’une histoire et d’un modèle qui permettent de prendre ses décisions en connaissance de cause, malgré un investissement important. Autre tendance marquante de la digitalisation, les relations avec les laboratoires, dont se sont emparées certains groupements en créant des marketplace (places de marché), des espaces virtuels où il est possible de commander des produits à des prix remisés, comme le font Népenthès et Mediprix (voir encadré), mais aussi des start-up qui proposent des applications pour gérer ces relations avec les laboratoires comme Apodis (dont l’offre est cependant plus large puisque sa plateforme appréhende aussi la relation avec les patients) ou Digistrates qui avec son application Pharmox gère les plans trade des laboratoires proposés aux pharmaciens. Sans oublier les innovations proposées par les éditeurs de LGO eux-mêmes, comme Winpharma qui travaille sur Winstock, une gestion automatisée des stocks, évoquée l’année dernière à Pharmagora et qui sera à nouveau mise au premier plan par l’éditeur lors de la prochaine édition du salon, en présentant une version intermédiaire avec une automatisation de 85 % des stocks.
« Nous nous sommes aperçus qu’une automatisation totale nécessite un accompagnement très important des pharmaciens et leurs équipes, ce à quoi ils ne sont pas toujours prêts aussi avons-nous développé une version intermédiaire avec un accompagnement plus simple », explique Camille Girard, responsable marketing et communication de Winpharma. Pour Pharmagest, l’accent est mis notamment sur l’e- prescription, « une des évolutions digitales les plus significatives », selon Denis Suplisson, directeur général délégué de l’éditeur. « L’e prescription facilite certes la délivrance au comptoir mais apporte aussi un gain de temps considérable en back- office car elle supprime la tâche longue et fastidieuse de relecture des ordonnances avant l’envoi des FSE en télétransmission. » Pharmagest va également utiliser le digital pour améliorer la gestion des commandes et des réceptions, ainsi que l’usage d’appareils portatifs dans l’espace de vente pour réaliser des ventes en mobilité, une nouvelle preuve que front-office et back-office sont liés.
La question du dialogue
Cette diversité de l’offre est certes riche d’opportunités pour les pharmaciens, mais elle pose une question de taille, comment faire dialoguer tout ça ? L’un des freins à la digitalisation du back-office est la difficile interopérabilité de tous ces applicatifs, notamment et surtout avec les LGO. Dans bien des cas, il faut ressaisir les données et le temps qu’on a gagné avec de nouveaux outils est perdu en partie par cette nécessité quand les nouveaux applicatifs ne dialoguent pas avec le LGO. C’est surtout vrai des applications qui nécessitent de communiquer avec les stocks des pharmacies, et elles sont nombreuses. Il est évident qu’une gestion de planning n’a pas besoin d’être reliée au LGO.
Il n’empêche, le sujet est quand même partagé par de très nombreux prestataires, Valwin explique par exemple que pour le click & collect, il lui faut être connecté aux données des stocks. Au point même que l’un d’entre eux, Octipas, a développé une plateforme entre les différents services susceptibles d’être utilisés par les pharmaciens. Cet éditeur spécialisé dans le retail et présent dans le monde de l’officine depuis un an environ insiste sur cet aspect d’interopérabilité. « Il ne sert à rien d’aller trop vite sinon on se retrouve avec trop d’éléments isolés les uns des autres », explique Nicolas Passalacqua, fondateur de l’entreprise. « Les pharmacies ont les mêmes problèmes que le retail, elles vont de plus en plus vers les groupements d’où l’importance croissante des systèmes d’information et de l’interopérabilité des différents éléments qui les composent. »
La plateforme que l’éditeur a développée permet de communiquer donc avec les autres services mais aussi avec les LGO, même si ceux-ci ne disposent pas toujours des passerelles idoines. Le dirigeant d’Octipas juge cependant nécessaire l’interopérabilité avec les LGO pour une plus grande fluidité de communication des données. « Les LGO constituent la pièce centrale du système d’information des officines, et restent assez fermés, mais certains moins que d’autres, cela évolue. Sans doute vont-ils s’ouvrir à l’image des éditeurs spécialisés dans le retail, également très fermés il y a quelques années, mais beaucoup moins aujourd’hui », ajoute Nicolas Passalacqua.
Développer des flux d’intégration
Cette problématique d’interopérabilité s’impose à tous les acteurs du monde de l’officine. Et notamment les groupements qui ont besoin d’accéder aux données des stocks de leurs adhérents pour que ces derniers puissent bénéficier pleinement des avantages des places de marché qu’ils ont mises en place. « Nous avons développé des flux d’intégration pour que ce soit intégré dans les LGO, à la suite d’accords conclus avec les éditeurs », explique Camille Yammine, directeur général de Népenthès, « ces flux sont disponibles depuis peu car cela nous a demandé du temps et surtout des investissements de développement, d’autant que les éditeurs nous facturent leurs propres investissements dans ces passerelles. Mais cela en vaut la peine, les pharmaciens qui en bénéficient aujourd’hui sont ravis de ne plus avoir à ressaisir leurs données et cela va accélérer l’usage de la marketplace. »
Dans un monde digital idéal, tout est ouvert de façon à créer des communautés professionnelles interconnectées. C’est peut-être le sens de l’histoire : « la vraie digitalisation, c’est ce que fait Sanofi avec l’ouverture de ses process et de ses données à ses partenaires start-up », estime Sophie Gillardeau. « Très peu le font aujourd’hui. » Les éditeurs de LGO, longtemps pointés du doigt pour leur fermeture commencent à ouvrir les portes tout doucement, négocient au cas par cas. Les différents prestataires que nous avons interrogés sont en négociation ou ont déjà conclu des accords, signes d’un réel assouplissement. Mais sans doute lesdits éditeurs doivent-ils considérer à leur tour les bénéfices d’une telle ouverture, sachant qu’ils peuvent être potentiellement concurrents sur des fonctionnalités actuelles ou sur des projets à venir. Pour Winpharma, la décision dépend beaucoup des pharmaciens eux-mêmes. L’éditeur ne souhaite pas imposer un partenaire parmi d’autres en développant spécifiquement des passerelles pour son application.
« Mais dès lors qu’un certain nombre de pharmaciens nous le demandent, alors nous développons ces API (interfaces de programmations ou passerelles, NDLR), ce que nous avons fait notamment pour une quinzaine de groupements qui ont développé des programmes de fidélisation », commente Camille Girard.
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