Le Quotidien du pharmacien.- La substitution a 20 ans, et on a un peu l'impression qu'après avoir usé tous les ressorts de son développement, le marché du générique a atteint un plafond indépassable. Est-ce le cas selon vous ?
Stéphane Joly.- Le marché du générique s’est essentiellement développé grâce à l’effort de substitution réalisé par les pharmaciens d’officine, accompagné par un certain nombre de mesures incitatives (rémunération sur objectif, majoration des remises, égalisation des marges, tiers payant contre générique). Aujourd'hui, ce système arrive à son maximum car le périmètre de l’action du pharmacien est restreint et limité par celui de la prescription dans le répertoire.
Il n’est donc plus temps de jouer uniquement sur la substitution par les pharmaciens des princeps par les génériques. Le taux moyen atteint le record de 80,9 % et même s’il continue de progresser (+ 0,2 point entre 2018 et 2017), il paraît difficile d’aller beaucoup plus loin en ne se concentrant que sur la seule implication des officinaux. D’autres leviers doivent être actionnés afin de faire progresser le taux de pénétration des médicaments génériques.
Avec seulement 37 % du marché pharmaceutique remboursable, le GEMME est loin de considérer que le marché du générique a atteint un plafond indépassable. C’est pourquoi il est convaincu qu’il faut absolument accompagner les mesures portées par le gouvernement dans la LFSS 2019 (justification de la mention non substituable, mise en place d’un reste à charge pour le patient qui choisit le princeps) pour développer plus encore les médicaments génériques. Ces mesures détaillées plus loin doivent notamment mettre le cap sur les volumes en impliquant les prescripteurs.
Le développement des médicaments génériques et biosimilaires constitue un axe fort de la Stratégie Nationale de Santé. Le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et la découverte d’innovations thérapeutiques toujours plus performantes nécessitent en effet des moyens importants pour notre système de santé afin d’assurer la prise en charge de ces traitements pour tous les patients atteints de ces pathologies (cancers, maladies auto-immunes…).
Les objectifs fixés par le gouvernement de 50 % de prescription dans le répertoire en 2019 vous semblent-ils atteignables ? L'implication des médecins est-elle aujourd'hui, pour le GEMME, le principal moyen de développer le marché ?
L’objectif de 50 % de prescription dans le répertoire en 2019 nous semble modeste au regard des potentialités du développement des médicaments génériques ; aucune raison objective ne vient s’opposer de notre point de vue à ce que la pénétration de ces médicaments en France rejoigne celle du marché allemand remboursable soit environ 80 %.
Un développement du marché générique à un niveau comparable à celui de nos voisins permettrait à l’assurance-maladie d'économiser plus de 1 milliard d'euros supplémentaires chaque année ce qui favoriserait l’équilibre des comptes et faciliterait le financement des innovations thérapeutiques et donc contribuerait à une meilleure prise en charge des patients atteints de pathologies graves et/ou chroniques.
C'est pourquoi le GEMME propose de refonder le modèle du médicament générique, en adoptant des mesures pour atteindre cet objectif et notamment en mobilisant tous les acteurs du système de santé au premier rang desquels les médecins : de toute évidence, le comblement du retard pris par la France nécessite une politique ambitieuse du générique qui passe par l’impérieuse nécessité de mettre le cap sur les prescripteurs et les volumes : nous ne parviendrons pas à influer sur les volumes sans une meilleure rémunération de la prescription dans le répertoire. Avec la chute de nouveaux brevets, c’est l’un des seuls moyens de dynamiser un marché qui n’a pas encore livré tout son potentiel médico-économique.
Pour être réellement efficaces, les mesures proposées par la LFSS 2019 doivent être accompagnées d’autres dispositions visant à éviter l’échappement des prescriptions vers le « hors répertoire ».
Le GEMME propose donc de mieux accompagner les médecins en majorant le tarif de la consultation, ou en instaurant un honoraire lié à l’atteinte d’un objectif de prescription dans le répertoire. Et en créant un honoraire spécifique sur objectifs de prescription en DCI pour les spécialités complexes.
Le GEMME souhaite ainsi profiter de l’opportunité de l’article 51 de la LFSS 2018 pour lancer une expérimentation afin d’inciter les médecins à prescrire des médicaments dans le périmètre de la substitution. Cela permettrait à l’échelle d’un territoire d’observer in situ la mise en place d’une dynamique vertueuse via un effet volume favorable au développement des médicaments génériques et de remplir a minima les objectifs de la Stratégie nationale de santé.
Le GEMME propose également de continuer à soutenir les pharmaciens dans leurs efforts de substitution en instaurant un honoraire de substitution pour les spécialités complexes en parallèle de l’évolution de la rémunération et en les accompagnant dans la mise en place du « reste à charge ».
Ces propositions simples et pragmatiques répondent de notre point de vue aux ambitions de Mme Agnès Buzyn qui a exprimé le souhait d'« aller plus vite, plus loin et plus fort sur le médicament générique ».
La politique continue de baisses de prix des médicaments est-elle tenable encore longtemps pour les acteurs du générique ?
La pression exercée sur les prix des génériques constitue une véritable menace pour l’industrie du générique et fragilise toujours plus l’équilibre économique de ce secteur. Elle fait courir un réel danger à cette industrie et présente un risque de délocalisation, avec des conséquences économiques importantes (pertes d’emplois).
Les industriels du médicament générique ont consenti des baisses de prix record au cours des 6 dernières années : plus de 160 millions d’euros pour 2018 qui s’ajoutent aux 800 millions d’euros enregistrés sur les 5 dernières années. Si l’impact pour 2019 est un peu plus léger avec tout de même 108 millions d'euros de baisses, cette évolution ne permettra pas d’absorber sereinement les nouveaux défis de 2019.
En effet, il convient de noter que les contraintes pesant sur l’industrie pharmaceutique sont grandissantes : la sérialisation qui entrera en vigueur dès le mois de février de cette année a nécessité de nombreux et coûteux investissements pour l’industrie. Toutefois la sérialisation est l’arbre qui cache la forêt car les contraintes sont cumulatives ; il faut aussi prendre en compte les dispositifs Cyclamed, Adelphe ainsi que ceux à venir liés aux nouvelles normes environnementales et scientifiques. La prise en charge de toutes ces nouvelles obligations a toujours été réalisée sans compromis sur le niveau de qualité des spécialités génériques mais elle pourrait conduire à limiter l’offre existante et à restreindre les lancements de nouveaux génériques.
L’industrie du médicament générique a été fragilisée par les baisses de prix importantes de ces dernières années qui de plus n’ont pas été compensées par un développement des volumes suffisant. Il faut retrouver des taux de croissance qui permettent à cette industrie de pérenniser une offre large et de qualité et de maintenir leurs investissements industriels.
Quels espoirs mettez-vous dans le développement du marché des biosimilaires pour lesquels le gouvernement a fixé un objectif de 80 % de pénétration dans leur marché de référence d'ici à 2022 ? Pouvez-vous rendre plus claire la position affichée par le GEMME à ce sujet ?
Le poids du marché des biosimilaires en France est encore faible mais son potentiel de croissance demeure très important. En effet, lorsque l’on analyse le marché du médicament en ville et notamment le top 10 des médicaments les plus coûteux qui représentent un chiffre d’affaires de plus de 2,5 milliards d’euros, on constate que 3 de ces médicaments pourront être disponibles dans une version biosimilaire d’ici 2020 représentant un chiffre d’affaires de 1,1 milliard d’euros.
Le phénomène est identique à l’hôpital : sur 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires que représente le top 10 des médicaments hospitaliers, 1,7 milliard pourrait être disponible en version biosimilaire d’ici 2020. Sept médicaments sont concernés.
L’ambition du GEMME est claire : tous les acteurs, professionnels de santé et patients, doivent à présent être mobilisés pour relever le défi de l’interchangeabilité. Comme reconnu par l’ANSM, les médicaments biosimilaires et leurs produits de référence sont interchangeables. Cet acte d’interchangeabilité peut s’effectuer à tout moment du traitement sous le contrôle des professionnels de santé pour assurer notamment son suivi.
Ce suivi commence dès l’initiation et se poursuit pendant toute la durée du traitement. L’acte d’interchangeabilité entre produits biologiques (dont biosimilaires) comprend notamment une exigence d’information, de traçabilité et de surveillance clinique du patient qui nécessite la collaboration de l’ensemble des professionnels de santé.
Cet acte d’interchangeabilité et son suivi devront être valorisés par un honoraire conventionnel financé par une partie des économies que l’usage du médicament biosimilaire aura générée et afin de rémunérer le travail spécifique au suivi du patient.
Afin de favoriser l’utilisation des médicaments biosimilaires, le GEMME est favorable à la fixation prochaine d’objectifs de prescription.
La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019 prévoit que les médicaments hybrides puissent être substitués pour dégager des économies supplémentaires. Pensez-vous que cette disposition entrera rapidement en vigueur ?
Le texte de la LFSS a introduit la notion de répertoire des médicaments hybrides. Il était en effet important de rendre possible la substitution de ces médicaments par le pharmacien car c’est une piste très pertinente pour dégager des économies supplémentaires et assurer ainsi la pérennité de notre système de santé. La mise en place du registre des médicaments hybrides, qui inclut les médicaments inhalés, et de la substitution de ces spécialités, nécessite la publication de textes réglementaires (décret et arrêtés). Il convient donc de faire en sorte que cette année soit l’occasion de mettre en place tout l’environnement réglementaire propice à l’entrée en vigueur effective de cette disposition. Le GEMME souhaite que cela puisse se faire le plus vite possible pour une mise en œuvre effective dès le 1er janvier 2020 comme prévu par le texte de la LFSS !
* association qui réunit 22 industriels du médicament générique et biosimilaire.
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