Après trois années marquées par la gestion de la crise sanitaire, la pharmacie montre une croissance à deux chiffres (entre 11 et 13 % selon les sources), dont un tiers peut être attribué aux activités Covid. Mais 2023, marquée par la diminution de ces dernières et l'arrivée de l'inflation, force les officines et les groupements de pharmaciens à revoir leur stratégie. Dans un environnement financier instable, où les clients vont se concentrer sur les produits de première nécessité, comment surnager, voire faire des bénéfices ?
Les groupements ont multiplié les initiatives afin de préserver le pouvoir d'achat de leur patientèle. La plus commune est la création d'un ou plusieurs paniers « anti-inflation » de produits dont le prix est gelé, voir abaissé. Une action bien perçue par les consommateurs, et qui permet de mettre en avant les marques de distributeurs (MDD), qui ne nécessitent pas de campagne de promotion massive, réduisant les coûts et permettant donc aux pharmaciens d'améliorer leur marge.
La MDD, nouvelle ruée vers l'or ?
Cette année a vu un regain des investissements des groupements dans la création de MDD ou le renforcement de celles existantes. Car leur succès est indiscutable. D'après une étude de l'observatoire OCP datant de 2021, un client sur trois aurait déjà acheté de la MDD en pharmacie ou en parapharmacie en France. Selon l'Institut Kantar, en 2023, les MDD ont gagné 2,5 points de parts de marché au détriment des marques nationales. C'est le cas notamment chez Pharmabest, qui observe depuis plusieurs années une croissance à deux chiffres sur ses MDD (plus de 180 références). Le groupement va d'ailleurs lancer une nouvelle gamme en 2024 - « Pureté » -, centrée sur l'hygiène.
« Il y a une énorme marge de progression pour la MDD », affirme Christophe Besnard, directeur réseau et opérations chez Lafayette, une enseigne qui possède 650 références réparties sur 13 marques. « Chez nous, les MDD représentent 5 % du chiffre d'affaires en parapharmacie. Notre objectif, c'est d'arriver à 10-15 % dans les 5 prochaines années. C'est le sens de l'histoire. Dans la grande distribution, les MDD, c'est 30 à 35 % du chiffre d'affaires ! »
Une telle croissance sera possible si les MDD continuent de répondre aux besoins des clients : des produits moins chers sans pour autant faire de compromis sur la qualité. « Dans une logique de recherche de marge, d'amélioration de l'image de la marque et de fidélisation de la patientèle, les MDD sont une valeur sûre. C'est aussi l'opportunité de créer des produits que l'on a envie de conseiller, pour compenser une offre actuelle insuffisante », suggère Sébastien de Larminat, directeur général et cofondateur de Totum Pharmaciens. Son groupement propose 50 références au sein d'une marque éponyme, avec une nouvelle gamme axée hygiène pour 2024.
Cette volonté de concevoir un produit de qualité se retrouve également au sein du groupe Univers Pharmacie, qui compte plus de 600 références et en sort 20 nouvelles par an. « Ce sont nos pharmaciens qui choisissent sur quels produits ils veulent que l'on travaille. Ils déterminent la formulation, le cahier des charges, et vérifient eux-mêmes la qualité du produit conçu pour le fournisseur choisi », explique son directeur général Jérémy Buchinger, qui affirme que la MDD ne doit pas être imposée au pharmacien, mais choisie par ce dernier.
Ceido a une vision similaire, mais une approche différente. S'il n'a pas de MDD à proprement parler, le groupement coopère avec le Laboratoire Innovantis pour créer des gammes très courtes (cosmétique/phytothérapie) spécifiquement taillées pour répondre aux besoins de ses adhérents, mais dont la marque apposée est celle de l'officine. Un système qui permet à chaque pharmacie d'avoir sa propre marque, même si le produit est similaire à celui d'autres adhérents du groupement.
Mais si la MDD est indiscutablement utile, elle doit être porteuse de sens. « Il doit y avoir un vrai projet et une vraie gamme derrière une MDD. Si c'est pour faire deux shampoings, un antipoux et une huile essentielle, ça n'en vaut pas la peine ! », alerte François Douère, directeur des opérations chez EvoluPharm, qui compte 550 références MDD réparties sur plusieurs marques.
Personne ne le sait mieux qu'Apothera (ex Pharma Santé Développement Groupe), puisque leur MDD, « NEP la marque » (300 références) remonte à 2003, ce qui en fait la doyenne du secteur. Mais là où certains groupements élargissent leur gamme de MDD, Apothera préfère consolider : « Nous réduisons le catalogue et remplaçons d'anciennes références par d'autres plus récentes au sein de gammes nouvelles, plus appropriées aux besoins d'aujourd'hui », explique son directeur général Julien Daou, qui considère qu'une expansion trop large d'une MDD peut être préjudiciable à la pertinence de l'offre.
La shrinkflation a-t-elle sa place à l’officine ?
Pour faire face à l'inflation, une technique qui a fait ses preuves au sein de la grande distribution est baptisée shrinkflation, ou « réduflation » en français. Elle consiste à réduire la quantité de produits dans l'emballage, tout en conservant le prix originel, ce qui permet d'augmenter la marge sans faire ressentir la hausse de prix au consommateur. Cette méthode a-t-elle de l'avenir au sein des MDD des groupements ? Pour les dirigeants interrogés par « Le Quotidien », la réponse est un non quasiment unanime.
« Tout dépend comment c’est étiqueté ou labellisé pour le patient. Il ne faut pas le prendre pour un idiot ! », tempère François Douère : « Ce qui rend le business en pharmacie intéressant, c'est que le "consommateur" est aussi un patient, qu'il faut soigner et aider. Il y a un équilibre à trouver. Il vient chez nous car il a confiance. Il ne faut pas le trahir. » David Abenhaim, président de Pharmabest, constate que la shrinkflation existe déjà en parapharmacie : « Actuellement, nous ne pouvons pas lutter contre cette stratégie des industriels et des groupes internationaux. C'est un procédé très violent. »
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