LES PROFESSIONNELS de santé le savent. Cytotec (Misoprostol), indiqué dans l’ulcère duodénal évolutif et l’ulcère gastrique évolutif, est très souvent utilisé, hors AMM, pour faciliter la dilatation du col utérin, mais aussi clandestinement pour provoquer un avortement. De même, les dermocorticoïdes, indiqués dans les dermatoses (eczéma, lichen, dermatose atopique, etc.), et utilisés hors AMM dans le phimosis, servent encore trop souvent à la dépigmentation cutanée.
« Le détournement d’indication par les usagers concerne toute la pharmacopée, que ce soit par automédication ou par la non-observance délibérée des indications, afin de régler des problèmes de santé ou autre », explique Mathilde Cuchet-Chosseler, chargée de la communication et du développement à ReMeD.
Ces détournements d’indication existent dans tous les pays, même si les pratiques relevées ne sont pas identiques et ne touchent pas les mêmes produits, pour des raisons différentes. Moutiatou Toukourou, présidente de Pharmaction au Bénin, dresse un état des lieux édifiant des mésusages dans ce pays.
Connaître les vraies raisons de la prise de médicaments.
Ainsi le Vasobral (déficits de mémoire, baisse de la vigilance, troubles du comportement, de la vue, de l’audition liés au vieillissement) ou le Guronsan (fatigue passagère) sont couramment utilisés par les hommes pour améliorer leur érection. L’Anafranil (état dépressif, trouble bipolaire, troubles obsessionnels compulsifs, attaque de panique, etc.) et Anusol (crise hémorroïdaire) sont appréciés pour retarder l’éjaculation. Par ailleurs, la présidente de Pharmaction note la surutilisation de Sédaspir (traitement de la douleur), de la quinine et de la chloroquine (antipaludiques) comme abortifs. D’autres dérives, moins connues, sont observées. Le Xatral (hypertrophie bénigne de la prostate) est parfois utilisé dans l’incontinence urinaire de la femme, tandis que l’Uteplex (dorsalgie) sert de fortifiant général pour les enfants et les nourrissons.
« Cet état des lieux montre bien que le pharmacien doit s’intéresser aux raisons de la prise de médicaments. Le problème au Bénin, c’est que si le pharmacien refuse de vendre, il sait qu’il est facile de se procurer des médicaments sur les marchés. » Reste que l’un des problèmes médicaux les plus répandus, hors pathologies graves, est la dépigmentation volontaire pratiquée par de nombreuses femmes africaines, inconscientes des conséquences qui peuvent en découler.
Complications fréquentes.
« Il est utile de faire un rappel épidémiologique sur l’ampleur de la pratique. À Bamako (Mali), 25 % de la population adulte féminine a recours à la dépigmentation de la peau. Dans l’un des quartiers populaires de Dakar, ce taux grimpe à 67 %, tandis qu’en Afrique centrale, la pratique est autant masculine que féminine. Le Sénégal est considéré comme le haut lieu de la dépigmentation cosmétique. Nous n’avons pas de données statistiques concernant les pratiques en Europe mais nous savons qu’elles sont fréquentes », précise le Dr Antoine Mahé, dermatologue à l’unité de santé publique-IST au centre hospitalier de Meaux et auteur de « Dermatologie sur peau noire » (2000 - Dion Éditions) et de « La dépigmentation cosmétique à Dakar : facteurs socio-économiques et motivations individuelles » (2004 - John Libbey Eurotext).
En cause : les produits utilisés, particulièrement nocifs, comme l’hydroquinone, le maître produit à Dakar puisqu’il est utilisé par 89 % des personnes qui se dépigmentent. Il est interdit dans l’Union européenne depuis 2001, mais on en trouve facilement. Les corticoïdes sont appréciés (70 % des personnes se dépigmentant s’en servent), mais aussi les caustiques (17 %) pour les zones plus difficiles à éclaircir (paume des mains, plante des pieds) et les mercuriels (10 %).
Une étude menée à Dakar de 2001 à 2003 a permis de collecter les différents produits utilisés et de les analyser. Ces références cosmétiques contiennent pour la majeure partie d’entre elles de l’hydroquinone (entre 5 et 8,7 %). Les utilisateurs les appliquent pures ou mélangées sur tout le corps une à deux fois par jour, et ce pendant des années, provoquant des complications dermatologiques très fréquentes.
La peau maltraitée.
Les corticoïdes sont souvent à l’origine de mycoses, gale profuse, érésipèle (1re cause d’hospitalisation dans le service dermatologie de l’hôpital de Dakar), vergetures et acné. L’hydroquinone entraîne fréquemment une hyperpigmentation périorbitaire, l’ochronose exogène, des cancers de la peau, une pigmentation persistante sur les jointures et des vergetures spectaculaires.
« Jusqu’à présent, nous pensions que les complications étaient seulement dermatologiques, mais nous avions tort. Les mercuriels peuvent entraîner des complications rénales, neurologiques et néonatales, tandis que les corticoïdes peuvent être un frein biologique, leur utilisation constitue un facteur de risque de diabète et d’hypertension artérielle, ainsi que de développer le syndrome de Cushing. Administrés pendant la grossesse, ils sont la cause d’un poids plus petit des enfants à la naissance », souligne Antoine Mahé.
Photos à l’appui, le dermatologue montre les effets dévastateurs de la pratique : acné, eczéma, brûlures, difficulté à cicatriser, tâches, peau devenue plus fragile et se dépigmentant par degré, allergies, vergetures. La peau est maltraitée et cela se voit. Mais il faut encore convaincre les usagers de ne plus appliquer ces produits. Une affaire complexe car cette dépigmentation est ancrée dans un environnement psychologique, culturel et social profond.
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %