La grande mue de l’industrie pharmaceutique

Plongée aux sources de la crise

Publié le 19/03/2009
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L’industrie pharmaceutique traverse actuellement de fortes turbulences et les plans de licenciements se multiplient. La faute à la crise financière ? Pas seulement. Les entreprises du médicament sont en effet confrontées à de profonds bouleversements structurels.

L’AMPLEUR de la journée de mobilisation des salariés prévue aujourd’hui devrait être particulièrement grande. Dans les rues, employés du privé et du public devraient défiler cote à cote. Car le mécontentement touche désormais tous les secteurs. Y compris celui de l’industrie pharmaceutique que l’on disait jusque-là plutôt préservé. Des usines sont même bloquées, tel le site d’Evreux de GlaxoSmithKline. Il faut dire que la période est critique : pas moins de vingt-cinq plans de restructuration et la suppression de 5 000 postes sont d’ores et déjà programmés d’ici à 2010 dans le secteur de la pharmacie. Les plus menacés sont les visiteurs médicaux (VM) dont les deux tiers des emplois devraient disparaître.

La crise financière est bien sûr passée par là. Mais elle n’explique pas tout. Pour les observateurs, l’industrie du médicament vit en effet une crise interne liée à une restructuration globale. Elle doit changer de business model.

« La crise est d’abord structurelle, explique ainsi Christian Lajoux, président du LEEM (Les entreprises du médicament), avec une mutation qui a débuté il y a deux ou trois ans afin de changer de modèle de recherche, de production et de commercialisation. Mais elle est aussi financière et internationale ». Cette dernière, conjoncturelle, a un impact indirect sur l’industrie pharmaceutique par le biais de la Sécurité sociale, poursuit Christian Lajoux. « Un point de masse salariale perdu, c’est 1,9 milliard d’euros de cotisations en moins, détaille le président du LEEM. Ce manque à l’arrivée va provoquer le durcissement de la maîtrise des dépenses ». Quoi qu’il en soit, analyse-t-il, la situation actuelle « prend racine dans des circonstances antérieures à la dépression que traversent en ce moment les économies développées et n’a pas de lien direct avec elle ».

Nouvelle donne.

Plusieurs phénomènes ont changé la donne pour les entreprises du médicament : la montée en puissance des génériques amplifiée par les chutes de brevets des blockbusters, la pression des pouvoirs publics pour maîtriser les dépenses de santé, la pénurie de molécules en phase clinique, le coût de plus en plus élevé du développement d’un médicament, l’essor des biotechnologies, la difficulté accrue de l’accès au marché, et une médecine de plus en plus individualisée.

Dans ce contexte, l’un des premiers objectifs des laboratoires est de remplacer les blockbusters destinés à un large éventail de patients par des blockbusters « de niche » prévus pour des malades hospitalisés ou soignés par des spécialistes. Leurs avantages : issus des biotechnologies, ces produits risquent moins d’être génériqués, et leur promotion nécessite une flotte de VM plus réduite. Inconvénient : les laboratoires doivent réorganiser tous leurs départements, en particulier le marketing-vente.

Autre changement, les cessions de sites industriels aux façonniers et fabricants de principes actifs sont foison car les industriels sont « confrontés à des surcapacités de production liées à la croissance des génériques et à la perte de brevets. Le recours à l’externalisation de la production leur permet de réaliser d’importants gains de productivité », peut-on lire dans une étude d’Eurostaf1.

De même, les pôles de recherche, jusqu’alors fortement centralisés, vont être éclatés en unités indépendantes pour les rendre plus réactifs, à l’image des sociétés de biotechnologies. GlaxoSmithKline (GSK) a ainsi « réorganisé sa recherche en 9 pôles d’excellence, chacun spécialisé sur une aire thérapeutique, qui fonctionne de manière autonome et en concurrence avec les autres pôles sur les budgets », décrit la lettre mensuelle Bio Santé Info d’août 2008.

Un séisme économique, social et humain.

Jean-Pierre Nicolas, député UMP de l’Eure, a fait part de ses craintes au secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation, Luc Chatel, lors d’une session à l’Assemblée nationale à la mi-février : « Cette situation constitue pour le bassin d’emploi un véritable séisme économique, social et humain pour le personnel de Glaxo et celui de nombreuses entreprises sous-traitantes ». Même si GSK a confirmé que « le site d’Evreux ne fermerait pas, le projet de réorganisation [ayant] pour objectif d’en faire un site viable », et que « la restructuration ne remettrait pas en cause les investissements programmés sur le site de Saint-Amand-les-Eaux, créateurs de 128 emplois », la situation reste très tendue au plan humain.

Au-delà de GSK, d’autres grands groupes pharmaceutiques ont, eux aussi, annoncé des plans sociaux. BMS, AstraZeneca, sanofi-aventis, Merck Serono, UCB, McNeil, Schering-Plough, Pfizer… sont ainsi en cours de restructuration. Quant aux sociétés spécialisées dans la visite médicale, leur situation est sans issue. Les deux filiales du groupe MBO ont ainsi été placées en liquidation judiciaire, entraînant 755 licenciements.

Ces plans traduisent l’accélération de la mutation du secteur. Le LEEM annonce la suppression de 5 000 à 6 000 postes de VM en France d’ici à 2010, soit 20 % des effectifs. Les perspectives d’Eurostaf vont plus loin encore : 10 000 à 15 000 postes seraient supprimés d’ici à 2015. De son côté, Alain Maspataud, membre de l’Union nationale des syndicats autonomes Chimie Pharmacie Pétrole, affirme qu’au total, « déjà 2000 emplois ont disparu en 2008 et entre 6000 et 10000 vont être supprimés d’ici à 2013, dont 80 % de VM. L’effectif en France passera ainsi de 100000 personnes à 60000 en 2013, dont 10000 à 12000 VM contre 19000 à 20000 aujourd’hui ».

Selon une étude d’IMS Health2, « l’industrie pharmaceutique devait connaître un repli modéré de son chiffre d’affaires en 2009 dans les pays développés, de l’ordre de -1 %, et une croissance modeste dans les pays émergents, de l’ordre de 2 % ». IMS indique par ailleurs que la façon dont la crise va interagir avec le changement de business model reste incertaine et inédite. « Ni en 1975, ni en 1993 – les deux seules années de croissance négative en France depuis la fin de la guerre – le secteur de la santé n’avait souffert de la récession. » Le creux se situerait au 1er semestre 2009… et le retour à une croissance positive en 2012.

1 Eurostaf vient de publier l’étude « Le secteur pharmaceutique en France et ses perspectives à l'horizon 2012 ».

2 Étude élaborée par Murray Aitken, vice-président senior, et Claude Le Pen, économiste de la santé, parue le 4 mars dans un hors-série de la lettre IMS Pharma News : « La pharmacie et la crise. Prévision de croissance du marché pharmaceutique en 2009 et 2010 pour 15 pays développés et émergents ».

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Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2648