Janssen-Cilag n’a pas reconnu les faits qui lui sont reprochés. Pourtant, « les pratiques de dénigrement » sont bien visibles selon la présidente de l’Autorité de la concurrence Isabelle de Silva, « puisque cela implique de rencontrer les médecins et les pharmaciens ».
Ce sont en effet deux comportements en particulier que l’instance a choisi de sanctionner, élaborés dès 2005 par le laboratoire par sa « Team anti-génériques Durogesic ». La « campagne massive de dénigrement » s’appuie sur des allégations de différences de quantités et de qualité du principe actif entre princeps et génériques et de différences de forme du médicament. Les équipes n’hésitent pas à remettre en cause la procédure d’octroi d’AMM des médicaments génériques et déforment une mise en garde émise par l’Agence du médicament (l’AFSSAPS à l’époque). Un message jugé « trompeur », largement diffusé par un « commando de 300 visiteurs médicaux », plusieurs lettres aux professionnels de santé, lors de formations à distance, et, auprès des pharmaciens, à travers des « entretiens confraternels » et des appels multiples « relatifs au risque de substitution ». Plusieurs témoignages d’officinaux sont édifiants : des délégués de Janssen-Cilag, se présentant comme « docteur », déconseillent fortement toute substitution du Durogesic car cela engagerait la responsabilité du pharmacien. Or, 12 800 officines ont été concernées par le fameux « entretien confraternel », et le matraquage a fini par fonctionner : « 83 % des pharmaciens interrogés par Janssen-Cilag ont mémorisé les risques liés au changement de spécialité à base de fentanyl » selon les dossiers saisis par l’Autorité de la concurrence.
Faible substitution
À ces pratiques anticoncurrentielles auprès des professionnels de santé s’ajoutent les actions mises en œuvre pour retarder l’arrivée des génériques sur le marché français. Des interventions « répétées et juridiquement infondées » auprès de l’AFSSAPS visaient à remettre en cause la décision de la Commission européenne et la bioéquivalence des génériques de Ratiopharm, et ainsi à mettre en avant les risques pour la santé des patients. Une stratégie payante : le brevet du Durogesic a expiré en juillet 2005, le générique de Ratiopharm obtient l’AMM européenne en octobre 2007, les Etats-membres ont alors 30 jours pour mettre le produit à disposition. Dans les faits, à cette époque, le délai observé en France est plutôt de trois mois. Mais dans l’Hexagone, la spécialité de Ratiopharm n’obtient le statut de générique du Durogesic qu’en septembre 2008 et son inscription au répertoire des génériques en décembre.
Une fois sur le marché, la campagne de dénigrement a fait son œuvre : le taux de substitution est bien inférieur à ceux envisagés. En 2008, la mise sur le marché est tardive, les génériques n’obtiennent que 0,51 % des parts de marché en ville et 0,01 % à l’hôpital. En 2009, ces taux sont respectivement de 8,81 % et 11,78 % ; et en 2010 de 16,65 % et 23,79 %. Pour l’Autorité de la concurrence, le manque à gagner pour les laboratoires génériques et les coûts supplémentaires payés par l’assurance-maladie signent la gravité de pratiques « complémentaires, sophistiquées et structurées qui ont nui à la concurrence des génériques ». Après un calcul minutieux prenant notamment en compte la valeur des ventes affectées, la durée et la gravité de l’infraction, l’Autorité de la concurrence a fixé l’amende de Janssen-Cilag et J & J à 25 millions d’euros. « Quel que soit le domaine d’intervention de l’Autorité de la concurrence, lorsqu’il y a sanction, l’incitation est forte pour que l’amende soit payée rapidement. Dans les faits, la plupart des amendes sont recouvrées par le Trésor public en quatre semaines », précise Isabelle de Silva.
Dissuader les pratiques
Il s’agit de la 3e décision de l’Autorité de la concurrence concernant des pratiques de dénigrement de génériques par des laboratoires princeps. En 2013, elle a ainsi sanctionné Sanofi à hauteur de 40,6 millions d’euros pour sa stratégie de dénigrement des génériques de Plavix (clopidogrel) et Schering-Plough à une amende de 15,3 millions d’euros pour entrave aux génériques du Subutex (buprénorphine). « Avec cette 3e décision sur ce problème de dénigrement des génériques sur une période resserrée, nous espérons que le message va passer et que nous n’aurons plus à sanctionner, ajoute Isabelle de Silva. Les montants ne sont pas dérisoires, nous montrons notre détermination à les sanctionner de manière ferme et conséquente pour dissuader ces pratiques. » Une volonté saluée par l’association des génériqueurs, le GEMME, le 21 décembre, qui « constitue un signal fort à l’endroit de tous ceux qui seraient tentés d’agir pareillement ».
À l’origine de la saisine de l’Autorité de la concurrence en mars 2009, le génériqueur Ratiopharm, racheté en août 2010 par Teva, a retiré sa plainte fin 2014, ce qui laisse supposer qu’un accord financier a été trouvé entre le génériqueur et Janssen-Cilag. Mais ce désistement n’a pas éteint l’instruction du dossier, décidé par l’Autorité de la concurrence en juillet 2009.
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