Le deutérium est un isotope naturel de l’hydrogène. Sa masse atomique est le double de celle de l’hydrogène car son noyau n’est pas composé d’un proton seul mais aussi d’un neutron. Conséquence chimique : les liens formés par le deutéron avec les atomes de carbone sont plus solides que ceux entre l’hydrogène et le carbone. Or, le plus souvent, le processus d’élimination mis en œuvre par le métabolisme consiste à casser les liens hydrogène-carbone. En remplaçant l’hydrogène par le deutéron, le métabolisme met donc plus de temps à casser le lien et donc à procéder à l’élimination.
Une demi-vie, trop courte
Dans le cadre pharmaceutique, cette faculté du deutérium permettrait de prolonger les effets des médicaments. Une propriété connue depuis une quarantaine d’années déjà mais jusqu’alors inexploitée. Au milieu des années 2000, plusieurs sociétés s’y sont intéressées, comme Auspex Pharmaceuticals. La start-up californienne se consacre exclusivement à la recherche sur des médicaments existants améliorés au deutérium, et en premier lieu au traitement des mouvements involontaires dans la maladie de Huntington, le syndrome Gilles de la Tourette et la dyskinésie tardive.
La tetrabénazine est le traitement de référence et la molécule est bien connue. Elle a obtenu sa première autorisation de mise sur le marché au Royaume-Uni en 1971 et a progressivement été commercialisée dans d’autres pays comme l’Australie, le Canada, la plupart des pays européens (en France en 2005) et dernièrement aux États-Unis (2008). Or, sa demi-vie courte pose problème. Rapidement éliminée, elle oblige les patients à multiplier les prises pour bénéficier de son efficacité. D’où un second problème : si le patient prend une deuxième dose alors que la première n’a pas été entièrement éliminée de son organisme, il provoque des pics de concentration qui iront en augmentant s’il reproduit ce comportement à chaque prise. La solution envisagée vise ici à ralentir la vitesse d’élimination de la molécule.
Médicament orphelin
Auspex Pharmaceuticals a donc remplacé une partie des atomes d’hydrogène de la tétrabénazine par des deutérons, une version d’abord désignée SD-809 et plus récemment baptisée deutétrabénazine. Deux essais cliniques plus tard (Fisrt-HD et Arc-HD), Auspex a pu démontrer l’efficacité de la deutétrabénazine versus placebo, trouver la dose efficace (deux fois par jour au lieu de trois à quatre fois par jour avec la tétrabénazine), et enfin tester l’innocuité d’un passage de la tétrabénazine à la deutétrabénazine. Auspex poursuit une nouvelle étude d’un an auprès des patients ayant participé aux deux premiers essais cliniques pour évaluer la durée des effets indésirables possibles. Les perspectives séduisent le groupe israélien Teva, qui signe un accord de développement avec la biotech dès 2010. Après obtention du statut de médicament orphelin par la FDA en avril et l’annonce d’une commercialisation possible courant 2016, Teva rachète Auspex en mai dernier pour 3,5 milliards de dollars. Teva se renforce ainsi dans les médicaments du système nerveux central (SNC) après avoir acquis la biotech Cephalon en 2011 pour 6,8 milliards de dollars. D’autant que le portefeuille d’Auspex comprend d’autres médicaments en développement utilisant le deutérium : SD-560 dans la fibrose pulmonaire, SD-1077 dans la maladie de Parkinson et SD-900 dans la polyarthrite rhumatoïde. Une façon de compenser la perte du brevet de Copaxone en septembre dernier, indiqué dans la sclérose en plaques, qui représentait jusqu’alors 20 % de ses revenus et 60 % de ses profits.
La « deutéronisation » serait-elle la solution pour ralentir l’élimination des médicaments à demi-vie courte par le métabolisme ? L’hebdomadaire « Le Nouvel Économiste » est partagé. Car cette pratique n’apporte pas systématiquement une amélioration des médicaments. Par ailleurs, les laboratoires mentionnent désormais les effets de la « deutéronisation » dans leurs demandes de brevets pour de nouveaux médicaments. Parallèlement, l’Office américain des brevets commencerait à rejeter certaines demandes de brevets pour des versions « deutéronisées » de médicaments existants sur le principe « obvious to one skilled in the art ». Autrement dit, la législation américaine prévoit qu’une invention n’est pas brevetable dès lors qu’elle est considérée comme une évidence pour toute personne ayant compétence dans le domaine. Le journal économique prédit que « les médicaments deutéronisés seront bientôt répandus et le résultat en sera : moins de comprimés à avaler ».
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