Médicaments aux États-Unis

Les spéculateurs jouent avec le prix

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Publié le 28/09/2015
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En augmentant de plus de 5 000 % le prix d’un médicament contre la toxoplasmose, un entrepreneur a focalisé sur lui la colère des Américains et conduit les politiques à s’emparer du sujet. En pleine campagne des candidats à la Maison Blanche.

L’homme par qui le scandale est arrivé s’appelle Martin Shkreli. À 32 ans, l’ancien dirigeant de hedge fund est à la tête de la société Turing Pharmaceuticals. Selon une technique éprouvée, il a racheté un médicament vieux de 62 ans, indiqué dans la toxoplasmose et particulièrement utilisé par les malades du sida, pour pouvoir le vendre à un prix défiant toute concurrence. Le comprimé de Daraprim (pyriméthamine) est passé de 13,50 dollars à 750 dollars, soit une hausse de près de 5 500 %. Pendant trois jours, Martin Shkreli a campé sur ses positions, rappelant d’abord que son intérêt pour les médicaments n’existait que pour l’argent qu’il pouvait en tirer. Puis en expliquant que le prix du Daraprim était largement sous-évalué et que son nouveau tarif permettrait de faire des profits qui serviraient à améliorer ce traitement. Sous la pression, celui que le « New York Times » a surnommé « l’homme le plus haï d’Amérique » a finalement annoncé une baisse de prix, sans préciser le nouveau tarif.

Plusieurs éditorialistes américains ont remercié le trentenaire d’avoir cristallisé, par son comportement odieux, un problème typiquement américain. Grâce à lui de nombreux Américains réalisent qu’ils « vivent dans le seul pays où les groupes pharmaceutiques fixent seuls le prix de médicaments qui sauvent des vies », note le site The Atlantic. Car « une loi empêche les organismes gouvernementaux comme le Medicare de négocier le prix des médicaments, à l’exception des hôpitaux militaires », selon le professeur de pharmacologie Andrew Hill, de l’université de Liverpool au Royaume-Uni.

Allégements fiscaux

Surtout, Martin Shkreli a rendu publiques ces pratiques peu amènes de l’industrie du médicament, poussant les politiques à s’emparer de la polémique. Au premier rang desquels on trouve la démocrate Hillary Clinton, candidate à la Maison Blanche et dont le système de santé est l’un des sujets de prédilection. L’ex-première dame des États-Unis rappelle que « chaque année, les grandes compagnies pharmaceutiques reçoivent des milliards de dollars d’allégements fiscaux et gagnent des milliards de bénéfices (…) Beaucoup dépensent plus d’argent en marketing et en publicité qu’en recherche ». Elle promet un plan qui prévoit de conditionner les allégements fiscaux de l’industrie pharmaceutique à un niveau de réinvestissement des bénéfices dans la R & D, de plafonner à 250 dollars par mois le coût des médicaments sur ordonnance non pris en charge par les assurances et de permettre à Medicare de négocier le prix des médicaments avec les laboratoires. Hillary Clinton est favorable à l’importation de médicaments étrangers qui seraient moins chers, à condition qu’ils répondent aux normes américaines, et cherche à améliorer le développement des génériques. Elle affiche d’ailleurs son intention d’interdire les accords pay-for-delay entre le titulaire d’un princeps et un génériqueur, afin de tenir ce dernier à l’écart du marché pendant un temps donné.

Le Daraprim (pyriméthamine), autorisé par la FDA en 1953, a été développé par GSK, puis vendu à Corepharma en 2010, société rachetée par Impax Laboratories en 2014, qui a cédé les droits du Daraprim à Turing Pharmaceuticals pour 90 millions de dollars. Corepharma avait déjà multiplié son prix par dix. En France, ce médicament porte le nom de Malocide, vendu par Sanofi au prix encadré de 12,94 euros la boîte de 20 comprimés, et pris en charge à 65 % par l’assurance-maladie.

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3203