Pour Xavier Baiao, tout commence en août 2020, lorsqu’un gliome infiltrant du tronc cérébral de grade 4 est diagnostiqué à Nathanaël, son fils aîné de 15 ans. « Le seul traitement est la radiothérapie qui donne une espérance de vie de 8 ou 9 mois, quand ça fonctionne. Cela n’a pas fonctionné pour mon fils. » La famille cherche alors d’autres solutions et découvre rapidement l’existence de ce médicament expérimental, sans nom de marque ou de molécule, seulement un nom de code : ONC201.
De ce que Xavier Baiao a pu savoir, la molécule aurait été découverte dans les années 1970 mais n’aurait pas été exploitée jusqu’en 2014. Une redécouverte qui serait due à la biotech américaine Oncoceutics. Celle-ci se lance dans le développement d’une nouvelle classe d’anticancéreux, les imipridones. Dans son portefeuille, ONC201, ONC206 et ONC212 répondent à cette définition. Les essais cliniques se mettent en place pour le candidat-médicament le plus prometteur, ONC201, avec des résultats suffisamment encourageants pour qu’Oncoceutics se fasse racheter en janvier dernier par son homologue Chimerix. Ce dernier a annoncé le 4 novembre des résultats positifs d’un essai de phase 2 dont il réserve le détail au congrès annuel de la Société pour la Neuro-oncologie (SNO) qui se tient du 18 au 21 novembre.
Le bon Dr Arnhold
Pour accéder à ce traitement expérimental, il faut donc intégrer un essai clinique aux États-Unis. Xavier Baiao trouve une autre solution bien connue des patients et de leur famille, confrontés à la même maladie : obtenir une prescription d’un médecin allemand. Car le principe actif est aussi produit en Allemagne, dans le Taunus, par la BurgApotheke, une pharmacie d’officine spécialisée, entre autres, en oncologie. Elle dispose d’une autorisation* délivrée par les autorités sanitaires du Land de Hesse, similaire à une « autorisation d’accès compassionnel » en France. Exerçant dans la même commune, le Dr Jürgen Arnhold est à l’origine des prescriptions dont a pu bénéficier Nathanaël Baiao. « Cette officine peut fabriquer du ONC 201 tant que le produit original n’est pas sur le marché. » Mais les choses pourraient bientôt changer, poursuit l’urologue, qui consulte également en visio : « La FDA devrait délivrer une AMM dès l’année prochaine, et l’EMA pourrait alors suivre les autorités américaines. »
Pour l’heure, cette situation intermédiaire permet de venir en aide aux patients européens ne pouvant se rendre aux États-Unis ou n’étant pas inclus dans l’essai clinique américain. « Il faut savoir que l’étude américaine refuse les patients dont l’état de santé est trop détérioré. De plus, la participation au programme suppose que le patient se présente toutes les quatre semaines », explique le Dr Arnhold, qui met un point d'honneur à venir en aide à tous les patients et leur famille qui lui en font la demande.
De fait, une téléconsultation à 600 euros plus tard, Xavier Baiao a obtenu la fameuse prescription, a réglé en amont l’équivalent d’un mois de traitement à la pharmacie et a reçu 72 heures plus tard les précieuses gélules en colis réfrigéré. Pour la modique somme de 2 500 euros les trois premiers mois, puis de 3 200 euros les mois suivants en raison d’une augmentation du coût de la matière première. Et même de 5 400 euros à partir de juillet dernier et jusqu’à la fin, lorsque les dosages ont été quasiment doublés. Malheureusement, Nathanaël est décédé le 3 octobre. Mais son père en est convaincu, le traitement lui a fait gagner des mois de vie et lui a permis de reprendre des activités dont il ne rêvait plus, comme courir et faire du vélo.
Harcèlement payant
Durant ces longs mois de combat, la famille de Nathanaël a frappé à toutes les portes, créé une association, organisé une cagnotte et des événements pour trouver des solutions de financement. Elle a longuement insisté auprès du cabinet du ministre de la Santé, pour rendre disponible ONC201 aux patients français. Un « harcèlement », selon les mots de Xavier Baiao, aujourd’hui payant. « Le cabinet devait me téléphoner pour me donner les coordonnées d’une personne à l’agence du médicament, en fait il m’a rappelé pour me demander si je pouvais envoyer une gélule d’ONC201. J’ai dit oui mais à environ 280 euros la gélule, j’ai exigé que les choses avancent. »
Depuis cette conversation téléphonique en juin est née une collaboration entre l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l’Institut Gustave Roussy, l’Institut national du cancer (INCa), la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE) et l’Association des neuro-oncologues d’expression française (ANOCEF). Elle a abouti à la mise à disposition d’ONC201 dans le cadre d’un accès compassionnel pour traiter la récidive des tumeurs cérébrales malignes de la ligne médiane avec mutation H3K27M. Comment ? La biotech américaine ayant décliné la demande de mise à disposition de son candidat-médicament en France, la gélule d’ONC201 fournie par Xavier Baiao est passée entre les mains de l’Institut Gustave Roussy qui, après identification de la matière première, l’a « rendu fabricable par la pharmacie hospitalière », explique Isabelle Yoldjian, directrice du médicament en oncologie de l'ANSM.
Le combat continue
Et l’Institut de préciser que ce processus pour le moins novateur ne pose pas de problème juridique. « Un médicament est breveté et protégé par le laboratoire pharmaceutique qui le commercialise jusqu’à l’arrivée des génériques. Le principe actif qui entre dans sa composition est une matière première non protégée par un brevet. La loi française autorise les pharmacies hospitalières à faire des préparations magistrales en achetant cette matière première pour répondre au mieux aux besoins thérapeutiques des patients, en l’absence de traitement ou de formulation adaptée commercialisée. »
ONC201 pourrait concerner entre 40 et 80 patients français par an. Sa mise à disposition est une victoire pour Xavier Baiao. « Au moins les patients et leur famille n’auront plus à se procurer ce médicament par leurs propres moyens à l’étranger, pour ceux qui y parvenaient. Nathanaël et moi étions conscients que ce combat pour avoir le médicament en France avait peu de chance d’aboutir avant qu’il ne meure, mais au moins on n’a pas fait tout cela pour rien. Je regrette seulement que le traitement soit réservé aux patients en rechute. Je continue le combat : maintenant il faut aussi que le médicament ONC206 arrive en France. » L’ANSM précise qu’un essai clinique d’ONC201, BIOMEDE 2.0, va s’ouvrir en France pour un usage en première intention en association avec la radiothérapie.
*Individueller Heilversuch.
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