Données chiffrées à l’appui, Stewart Cole, directeur général de l’Institut Pasteur à Paris et professeur de pathogenèse microbienne, développe un plaidoyer économique pour mieux financer la lutte contre la tuberculose. Car cette « tueuse en série » qui a fait plus d’un milliard de morts depuis 1800 (versus 36 millions de morts du sida) n’est « pas la maladie la plus financée alors qu’elle est numéro 1 en termes de mortalité due à un agent infectieux ». Et surtout, des moyens existent pour l’éviter et la soigner.
Associée au rival de Louis Pasteur, Robert Koch, qui en a découvert le bacille auquel il a donné son nom en mars 1882, la tuberculose bénéfice d’un vaccin « archi-sûr », le fameux BCG de Camille et Guérin, administré pour la première fois en 1921. Depuis, plus de 3 milliards de doses ont été injectées. Mais si son efficacité est reconnue contre différentes formes de tuberculose chez le nourrisson, elle apparaît plus limitée contre la forme pulmonaire chez l’adulte (environ 50 %) qui est la plus contagieuse et responsable de la propagation de la maladie. C’est pourquoi des candidats-vaccins font l’objet d’essais cliniques à différents stades, qu’il s’agisse de vaccins sous-unitaires, basés sur des vecteurs viraux, à bacille tuberculeux atténué, ou de BCG recombinants. Malheureusement, aucun n’a encore montré de résultats indiquant une meilleure efficacité que le BCG actuel.
Passage à vide
Du côté des traitements, un grand nombre a été découvert durant les années 1940-1960, qualifiées par Stewart Cole « d’âge d’or », avant un long passage à vide jusque dans les années 2010. Dès la découverte du tout premier antibiotique efficace contre la tuberculose, la streptomycine (toujours utilisée, mais en seconde intention), des résistances apparaissent. Mais c’est après la généralisation de l’utilisation de la rifampicine dans les années 1970 que des cas de tuberculose multirésistante sont observés. Aujourd’hui, celle-ci est définie par une résistance à au moins deux molécules les plus efficaces (rifampicine et isoniazide) et on parle désormais également de tuberculose ultrarésistante lorsqu’elle ne répond pas à ces deux molécules, mais aussi aux fluoroquinolones et à au moins l’un des trois antituberculeux injectables de deuxième intention : amikacine, capréomycine ou kanamycine.
Grâce à la mobilisation des Fondations Rockefeller et Bill & Melinda Gates, ainsi que des agences gouvernementales, l’Alliance mondiale pour le développement de médicaments contre la tuberculose, TB Alliance, a vu le jour en 2000 et a permis de relancer des programmes de recherche. Une initiative qui a gagné de nombreux partenaires depuis lors, notamment des laboratoires pharmaceutiques, et qui a favorisé l’émergence de la bédaquilline (Sirturo) en 2012, du délamanide (Deltyba) en 2014, et du prétomanide (Dovprelva) en 2019, trois médicaments spécifiquement indiqués dans la tuberculose multirésistante. « Serait-ce la nouvelle belle époque ? », espère Stewart Cole. C’est en tout cas grâce à TB Alliance qu’une trithérapie visant les formes résistantes de la tuberculose a démontré des résultats de phase 3 très prometteurs.
Détournement des ressources
Cet essai clinique mené en Afrique du Sud a inclus 109 participants âgés de 14 à plus de 50 ans qui ont reçu le traitement dit BPaL : bédaquilline, prétomanide et linézolide. Sur les 71 patients atteints d’une tuberculose ultrarésistante, le traitement s’est révélé efficace à 89 % ; chez les 38 malades d’une forme multirésistante, l’efficacité a grimpé à 92 %. « Ce traitement est plus simple et plus rapide pour les formes les plus difficiles à traiter, on passe à six mois de traitement, soit 750 comprimés à prendre, au lieu de plus de 18 mois de traitement et plus de 14 000 comprimés et parfois des piqûres aussi », s’enthousiasme le directeur général de l’Institut Pasteur. Seul bémol, « ces résultats ont été publiés dans le "New England Journal of Medicine" (NEJM) en 2020, en pleine crise Covid, ils sont passés inaperçus ». Cependant, l’avènement d’un nouveau consortium public-privé en 2020, l’European regimen accelerator for tuberculosis (ERA4TB), dont le leader académique n’est autre que l’Institut Pasteur, « est une belle opportunité pour mettre au point d’autres traitements contre la tuberculose ». Son objectif est de développer au moins deux nouvelles combinaisons de traitements d’ici à 2026, grâce à l’implication de 25 partenaires académiques et privés et un budget de 207 millions d’euros sur 6 ans.
Car il y a urgence, martèle Stewart Cole, l’épidémie de Covid-19 ayant eu un « impact considérable sur la prise en charge de la tuberculose au niveau mondial ». Le nombre de déclarations de cas de tuberculose a ainsi chuté de 7,1 millions en 2019 à 5,8 millions en 2020, bien qu’un rattrapage partiel à 6,4 millions de notifications ait eu lieu en 2021. « Cela est dû au détournement des ressources utilisées pour la tuberculose, le VIH, etc. vers le Covid-19, car considéré comme une urgence sanitaire plus importante. » Ce qui a eu des conséquences négatives sur le contrôle de la tuberculose, avec une hausse de l’incidence et de la mortalité en 2021. « Nous avons perdu 10 ans de progrès », déplore le directeur général de l’Institut Pasteur.
Comparant les dépenses engagées, Stewart Cole se réjouit certes de la participation exceptionnelle en faveur du Covid en 2020 (100 milliards de dollars), mais regrette que la maladie infectieuse la plus mortelle ne bénéficie que d’un milliard de dollars par an, soit moins que les budgets dédiés au VIH ou au paludisme. « La tuberculose est une cause des inégalités ; or, tant qu’il n’y aura pas plus d’égalité dans le monde, nous aurons toujours des urgences sanitaires », insiste Stewart Cole, qui remarque, « quand le Covid sera maîtrisé, la tuberculose sera toujours là, elle perdure depuis des millénaires ». C’est pourquoi il appelle à ce que « la tuberculose ne soit plus la pandémie oubliée ».
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