Président depuis décembre 2021 de la Société française de santé digitale, société savante qui s'intéresse à toutes les applications du numérique et du digital en santé, Jean-Jacques Zambrowski a pu observer l'arrivée, puis le développement du numérique dans les officines et, plus globalement, dans tout le secteur de la santé. Il en tire un premier constat. « Ce qui est intéressant, c'est qu'à travers cette révolution numérique, on a le sentiment d'un engagement que partagent les services de l'État, les grossistes-répartiteurs, les industriels, les pharmaciens d'officine, les groupements… L'ensemble des acteurs de ce milieu s'engagent car c'est une révolution en profondeur. »
Une révolution numérique qui s'accomplit en même temps que la transformation du métier de pharmacien qui, au gré des évolutions législatives et réglementaires, n'a cessé d'évoluer au cours des dernières années. « La loi a donné aux pharmaciens bien davantage, ne serait-ce qu'au travers de ce que sanctionne la rémunération. Aujourd'hui celle-ci est assurée par l'acte de dispensation et le conseil bien plus que par la marge commerciale, note Jean-Jacques Zambrowski. La loi a fait du pharmacien un professionnel de santé en France, ce n'est plus un simple marchand spécialisé. Le rôle du pharmacien va bien au-delà de ce qu'est simplement l'acte de délivrer ou de dispenser ce qui est écrit sur l'ordonnance. Il inclut le conseil, une vigilance, une proximité qui rassure le patient, il est aussi le premier élément de la pharmacovigilance ou de la médicovigilance », résume-t-il.
Une révolution qui nous invite à « tout repenser »
Cette évolution du métier s'explique par un changement de vision chez les décideurs, notamment au niveau de l'assurance-maladie, estime Jean-Jacques Zambrowski. « Le raisonnement de la CNAM est aujourd'hui centré sur le parcours de soins, sur les professionnels qui s'associent autour d'un patient librement, dans la même CPTS ou pas, avec un accent davantage mis sur la prévention », observe-t-il. Là encore, la révolution numérique explique au moins en partie ce changement de mentalité. « À l'occasion de la révolution informatique, nous repensons complètement la responsabilité des uns et des autres. La puissance publique d'un côté, les professionnels de santé de l'autre. Nous repensons complètement ce qu'est le parcours de vie d'un individu, avec la partie prévention. Cette éducation du patient est considérablement facilitée par les moyens informatiques. Elle concourt à sa thérapie en même temps que les médicaments ou que les dispositifs médicaux. » Pour l'économiste de la santé, les officinaux ont justement un rôle clé à jouer dans ce domaine. « Le pharmacien est un acteur de proximité, facilement accessible et disponible… Il est une interface infiniment plus accessible que le cabinet médical ou l'hôpital. Le pharmacien a cette capacité de rendre le service, », souligne Jean-Jacques Zambrowski, en pensant notamment à tous les patients qui se trouvent en difficulté face au numérique.
Doté de nouvelles possibilités, de par la volonté des pouvoirs publics de s'appuyer sur ses compétences, le pharmacien pourra, dans les années à venir, être de plus ne plus efficient grâce aux évolutions numériques. « Ce que permettent la téléconsultation ou le télésoin n'est qu'une toute petite partie de ce que peut faire aujourd'hui l'informatique en santé, veut rappeler Jean-Jacques Zambrowski, qui cite ce cas à titre d'exemple. On voit que des logiciels d'intelligence artificielle, couplés à une IRM, permettent de diagnostiquer des tumeurs du cerveau alors que sur les IRM ordinaires, un radiologue spécialisé ne peut pas les voir. Pourquoi ? Parce que le logiciel peut voir 100 images à la fois, ce qu'aucun œil humain ne peut faire. En voyant 100 images à la fois, il voit une petite opacité, cela va entraîner une alerte, puis la réaction du professionnel. Ainsi, on pourra détecter le problème à une phase très précoce. Comme on le sait, les traitements commencés tôt ont plus de chance d'avoir une efficacité et moins d'effets délétères qu'une chirurgie invasive », souligne-t-il.
Ne pas passer à côté de la révolution numérique
Selon le président de la Société française de santé digitale, le numérique s'imposera, qu'on le veuille ou non, dans nos vies et nos professions. « Aujourd'hui, l'informatique gagne absolument la totalité de nos métiers, c'est une occasion à saisir et en même temps une contrainte. Bien sûr, il y a des difficultés, admet-il. Nous avons à nous perfectionner, à nous mobiliser ensemble car s'il y a une circonstance où nous pouvons œuvrer en commun au bénéfice de nos métiers et de nos patients, je crois bien que c'est actuellement. » Ne pas s'adapter serait lourd de conséquences, selon Jean-Jacques Zambrowski, même s'il est résolument convaincu que le pharmacien est en capacité de s'approprier cette révolution numérique. « Si nous ne prenons pas conscience de tout ce que cette innovation peut apporter à nos métiers et à nos patients, alors nous serons passés à côté de ce qu'est notre initiative au changement. Toutefois, le pharmacien a montré depuis un quart de siècle qu'il était capable de changer. Rappelons-nous l'effroi des pharmaciens au moment de l'essor des génériques ou lorsqu'on a commencé à parler de consultation pharmaceutique. Aujourd'hui, tout cela entre bien heureusement dans les mœurs. »
Globalement, Jean-Jacques Zambrowski se montre plutôt optimiste pour l'avenir de la profession. « Le pharmacien trouve aujourd'hui davantage de fierté professionnelle mais aussi de rémunération et de légitimité à s'installer dans sa carrière d'officinal, son métier de professionnel de santé plutôt que dans son métier de commerçant. Je pense que le pharmacien, dans cette période post-Covid, a une occasion inespérée de s'installer définitivement dans le cercle vertueux des professionnels de santé par rapport aux autres. Les instances ordinales, syndicales, les groupements ne rateront pas ce rendez-vous », est-il persuadé.
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