Le Quotidien du pharmacien.- Pour quelles raisons les douleurs chroniques sont-elles si difficiles à combattre ?
Pr Alain Serrie.- La douleur aiguë est une douleur signal d'alarme. Donc si on guérit la cause, on guérit le plus souvent la douleur. Les choses sont bien différentes avec la douleur chronique. La cause existe toujours, comme en cas de cancer ou de zona par exemple, où la douleur est à distance de la cause. Une douleur est dite chronique, lorsqu'elle existe depuis 3 à 6 mois. La douleur devient une maladie en soi qui n'a plus aucun rôle protecteur et peut gâcher la vie des patients avec des retentissements sociaux, professionnels, familiaux qui imposent une prise en charge pluridisciplinaire. Il ne s'agit pas de réduire la douleur en jouant sur l'intensité, mais plutôt en agissant sur sa dimension multifactorielle en mettant en œuvre des moyens pharmacologiques et non pharmacologiques. Voilà pourquoi on dit de la douleur chronique qu'elle est un modèle bio-psycho-social.
Quelles sont les situations cliniques qui indiquent plus spécifiquement l’utilisation de la TENS ?
Il faut clairement évoquer en premier lieu les douleurs neuropathiques. Se frotter lorsqu'on a mal, c'est utiliser le principe de la contre-stimulation qui permet de renforcer l'inhibition physiologique que nous avons en nous au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière. C'est ce qu'on appelle la théorie de la porte, en anglais, le « gate control ». On pourrait expliquer ce mécanisme de la façon suivante : deux sortes de fibres partent du bout du doigt jusqu'à la moelle épinière. Il y a les grosses fibres, fortement mylénisées, qui véhiculent le tact et le toucher, et les autres plus fines, qui transmettent la douleur. Donc si on se tape moyennement fort sur votre doigt, vous n'aurez pas mal car les fibres du tact vont inhiber les petites fibres qui véhiculeraient le message douloureux s'il n'y avait pas les grosses fibres. C'est ce mécanisme qui permet d'expliquer l'allodynie dans les douleurs du zona où la défaillance des grosses fibres permet à la douleur d'emprunter très rapidement les petites fibres. Quand elles le peuvent, les grosses fibres ferment la porte à la douleur. C'est la théorie du « gate control ».
Comment pourrait-on résumer les principes de fonctionnement de la TENS ? Quels sont les mécanismes physiologiques impliqués ?
Que fait-on lorsqu'on se frotte ou se masse ? Lorsqu'on fait de la stimulation externe ? Qu'on applique des huiles essentielles, de l'acuponcture ou de la cryothérapie ? Et bien simplement, on stimule les grosses fibres du toucher qui ferment la porte à la douleur au niveau de la corne postérieure de la moelle. Cela fonctionne très bien tant qu'il s'agit de douleurs modérées. C'est ce que nous faisons tous de façon réflexe lorsqu'on a reçu un coup et que nous frottons la zone touchée. On fait de la stimulation courte et non organisée.
Pour parler plus précisément des mécanismes mis en jeu par la TENS, il y a d'une part une stimulation de faible intensité - de nature électrique - des grosses fibres comparables à un frottement. En pratique, le patient ressentira un fourmillement durant la séance qui peut durer entre 1 heure et 6 heures par jour. Il existe également un autre type de stimulation, de plus forte intensité, qui entraîne la sécrétion d'endorphines et d'enképhalines et s'accompagne de sensations beaucoup plus intenses. Cette stimulation forte, à partir de l'étage supraspinal et mettant en jeu les circuits descendants noradrénergiques et sérotoninergiques, va renforcer la fermeture de la porte au niveau de la moelle épinière.
Comment se présente l'offre thérapeutique mettant en œuvre la TENS ?
Différentes méthodes et appareils peuvent être proposés. Les appareils de TENS, tels que nous les utilisons à l'hôpital, sont uniquement délivrés sur prescription médicale dans un centre douleur, et pris en charge au TIPS. Et puis, il y a tout ce qui n'est pas remboursé et qui devient de plus en plus intéressant ! Nous parlons là d'auto-traitement. Cette proposition thérapeutique devient intéressante pour deux raisons : d'abord parce que les délais d'attente pour avoir une prescription en centre douleur sont très longs ; des délais encore allongés par la crise sanitaire que nous vivons. En outre, il faut prendre en compte le fait que les personnes souffrant de douleurs chroniques sont souvent âgées, or actuellement il faut éviter au maximum de faire venir ce type de patients à l'hôpital. Sans compter que les consultations d'urgence en centre spécialisé sont réservées à cinq situations cliniques : la névralgie faciale, l'algie vasculaire, l'état de mal migraineux, le cancer et le Sida.
La TENS peut donc être utilisée en ambulatoire ? Quel peut être alors le rôle du pharmacien en termes de conseil et d’accompagnement du malade ?
Ces patients qui ne pourront plus accéder à l'électrothérapie peuvent désormais se tourner vers leur pharmacien. Ils pourront, sur le conseil de leur pharmacien, bénéficier des soins apportés par des appareils tout à fait performants, sans avoir attendu 3 à 6 mois un rendez-vous en structure douleur. La seule condition, c'est que le pharmacien ait été formé à cela. Une formation qui ne pose pas de difficulté particulière car il s'agit pour l'essentiel de savoir reconnaître une douleur neuropathique. L'accompagnement et le conseil par le pharmacien sont à la fois possibles et souhaitables.
Avec quels délais peut-on attendre un soulagement lors d’une séance ?
Le soulagement est très rapide. C'est pour cela que ce serait dommage de se priver de ce moyen. Je considère que ce serait une perte de chance pour le patient.
Existe-t-il des contre-indications à la TENS ?
Oui, c'est notamment l'état cutané qui limite les indications. Prenons l'exemple du zona, s'il y a des vésicules, on ne peut pas, il ne faut pas utiliser la TENS. Il y a également les patients électrophobiques, qui ont peur de l'électricité, les porteurs de pacemaker cardiaque. Certains patients atteints de douleurs neuropathiques d'origine centrale, par exemple atteints d'un AVC, ne seront pas soulagés par la TENS. Si un pharmacien a un doute face à une douleur chronique un test simple en 10 questions, le DN4, lui permettra de caractériser à coup sûr une douleur neuropathique.
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