IL Y A LONGTEMPS que la cancérologie voit dans l’immunothérapie une modalité de traitement riche de promesses. Ses espoirs ont cependant été souvent déçus : le panel des immunomodulateurs aujourd’hui indiqués dans le traitement des cancers reste réduit (citons notamment le BCG dans le traitement du cancer de la vessie, l’interleukine-2 dans celui des tumeurs du rein, l’interféron-alfa dans le traitement des mélanomes malins). Depuis quelques années, le succès des anticorps monoclonaux en oncologie a toutefois contribué à modifier la donne : il est admis qu’ils induisent des réponses immunitaires cellulaires ou humorales expliquant une part de leur action thérapeutique et peuvent ainsi induire le développement de populations lymphocytaires antitumorales en favorisant la présentation de l’antigène tumoral aux lymphocytes T. Si la cible de nombreux vaccins anti-cancer est la population lymphocytaire, cette cible n’est pas unique dans un domaine qui, aux frontières de l’immunologie et de la pharmacologie, reste extrêmement complexe et technique.
Cibler l’activation lymphocytaire T.
L’activation des lymphocytes T antitumoraux constitue depuis plus de vingt ans une cible de l’immunothérapie anticancéreuse suggérée notamment par le fait que la régression spontanée - très exceptionnelle - de tumeurs soit associée à l’existence de lymphocytes T capables de reconnaître les antigènes tumoraux, et que le pronostic évolutif des tumeurs infiltrées par de fortes colonies de lymphocytes T soit moins défavorable. Les déceptions ont été nombreuses jusqu’à cette décennie qui a enregistré deux succès permettant d’envisager d’un œil neuf cette approche.
C’est en avril 2010 que la Food and Drug Administration (FDA) américaine a agréé la commercialisation du sipuleucel-T (Provenge), le premier vaccin thérapeutique indiqué dans le traitement du cancer de la prostate résistant aux anti-androgènes, mais sans métastases viscérales. Ce vaccin cellulaire comprend des cellules mononucléées autologues du patient, sensibilisées in vitro avec une protéine de fusion associant la phosphatase acide prostatique (PAP) couplée au GM-CSF (Granulocyte-macrophage colony stimulating factor) - dont le rôle ici est de permettre le recrutement de cellules myéloïdes et d’engager leur différenciation en cellules dendritiques. Deux bras de patients ont été étudiés : l’un traité par le vaccin, l’autre par des cellules mononucléées sans antigène. La réduction du risque de mortalité s’est avérée significative : 3 ans après le début du traitement, quelque 32 % des patients ayant bénéficié du vaccin étaient encore vivants contre 23 % pour le bras placebo, ce qui correspond à une amélioration de la survie globale de 4,1 mois. La survie a pu être corrélée à la présence d’anticorps antitumoraux. Ce résultat peut sembler faible, mais il porte sur une population de patients résistants à la chimiothérapie. Le succès de cet essai a interrogé la communauté médicale, car divers essais précédents, à peu près similaires, s’étaient révélés décevants. En fait, c’est dans la nature de la population recrutée qu’il faut voir l’explication de cela : les patients étaient indemnes de métastases que l’on sait associées à une résistance à l’immunothérapie. Toutefois, ce vaccin reste extraordinairement coûteux (environ 31 000 dollars/injection) et difficile à fabriquer.
Un essai de phase III a montré qu’un vaccin antitumoral associant le peptide gp100 (antigène de différenciation mélanocytaire) à de l’interleukine-2 était plus efficace que l’Il-2 administrée isolément chez des patients atteints de mélanome métastatique : le taux de réponse est ainsi passé de 6 % à 16 %, avec une survie globale de près de 18 mois contre seulement 11 mois.
Traiter précocement.
L’amélioration de l’usage des vaccins antitumoraux passe par une meilleure sélection des patients : l’existence de métastases viscérales ou d’un syndrome inflammatoire constitue un facteur de résistance à l’immunothérapie. L’administration de traitements antiangiogéniques, inhibant la formation anarchique de vaisseaux sanguins fonctionnellement inefficaces, contribuerait à favoriser l’infiltration des lymphocytes au cœur de la tumeur : des concentrations intratumorales élevées en VEGF, témoin d’une néo-angiogenèse importante, sont ainsi associées à une résistance à l’immunothérapie.
On peut d’ailleurs noter que, récemment, un vaccin thérapeutique destiné à induire la production d’anticorps anti-EGF (Epidermal Growth Factor, un facteur de croissance épidermique contribuant à induire le développement tumoral) permettant de bloquer l’interaction entre l’EGF et son récepteur, a été agréé à Cuba et dans divers pays sud-américains : cette spécialité (CimaVax-EGF) vise le cancer du poumon non à petites cellules mais semble également active sur d’autres types de tumeurs solides.
Dans tous les cas, les vaccins thérapeutiques anti-cancer donnent leurs meilleurs résultats chez des patients traités à un stade précoce de la maladie, en situation adjuvante - pour éviter les récidives de la maladie -, ou porteurs d’une maladie résiduelle. Ainsi, les vaccins thérapeutiques dirigés contre le papillomavirus (HPV) sont efficaces pour traiter les lésions dysplasiques sévères du col de l’utérus (qui disparaissent chez 30 % des patientes un an après l’administration du vaccin de la société Transgène) mais restent inefficaces chez les patientes atteintes d’un cancer du col de l’utérus primaire ou métastatique.
Des essais de vaccins thérapeutiques sont en cours dans les stades précoces de divers types de tumeurs.
Améliorer l’efficacité des vaccins.
Un objectif de nombreux vaccins thérapeutiques en développement est d’induire la production de lymphocytes T cytotoxiques ayant une activité antitumorale spécifique et de favoriser les réponses immunitaires normalement développées par l’organisme dans l’environnement de la tumeur elle-même. Ce but se heurte à d’innombrables difficultés liées à la complexité des phénomènes intriqués : les écueils demeurent nombreux avant de voir généralisés les « vaccins anti-cancer ». Ainsi, les tumeurs sont infiltrées de lymphocytes T régulateurs ou de cellules myéloïdes suppressives à même d’inhiber les fonctions effectrices des lymphocytes T cytotoxiques. La proportion relative de ces deux populations lymphocytaires (régulatrice et cytotoxique) conditionne l’évolution favorable ou non de la tumeur, et donc le succès de l’immunothérapie vaccinale. La présence de lymphocytes T cytotoxiques rendus anergiques par des molécules inhibitrices présentes dans l’environnement tumoral complique encore la situation : le blocage de ces inhibiteurs par des anticorps spécifiques ou des molécules chimiques fait l’objet d’études.
L’association chimiothérapie/immunothérapie constitue une piste prometteuse car il a été montré qu’elle peut contribuer à restaurer un équilibre favorable entre les populations de lymphocytes régulateurs et cytotoxiques.
De même, plusieurs études suggèrent l’intérêt d’associer des molécules anti-angiogéniques (comme le sunitinib) à l’immunothérapie : l’inhibition de la formation des néovaisseaux s’oppose à l’immunosuppression induite par les tumeurs et laisse les défenses naturelles de l’organisme agir plus efficacement, en favorisant notamment la multiplication des lymphocytes cytotoxiques.
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