Le traitement pharmacologique d’une maladie bipolaire implique un recours à plusieurs familles de médicaments : normothymiques (= thymorégulateurs), et/ou antipsychotiques dans le traitement ou la prophylaxie des accès maniaques, antidépresseurs dans le traitement des épisodes dépressifs.
Il faut noter que de nombreuses autres approches thérapeutiques, non évoquées ici, sont mises en œuvre (psychothérapie, groupes de parole, etc.).
Lithium.
Le lithium a un effet curatif chez 60 à 95 % des patients présentant un accès maniaque ; la réponse d’un épisode dépressif est également très bonne s’il s’inscrit dans l’évolution d’un trouble bipolaire. L’avantage du lithium est d’éviter le virage maniaque observé dans plus de 35 % des cas avec un traitement antidépresseur. C’est toutefois la prophylaxie qui constitue l’indication élective du lithium : son intérêt se pose dès le premier épisode maniaque et ce d’autant plus que l’accès est de survenue brutale, d’intensité importante, sans facteurs précipitants, et qu’il existe des antécédents familiaux.
Une fois l’indication posée, il faut évaluer la capacité fonctionnelle du rein, une éventuelle fragilité digestive, cardiaque ou thyroïdienne.
On effectue un dosage de l’urémie, de la créatininémie, de la glycémie, des électrolytes, des hormones thyroïdiennes ; on recherche une protéinurie et une glycosurie. Un test de grossesse est effectué chez une femme en âge de procréer, en l’absence de contraception.
La grossesse pendant les trois premiers mois ne constitue plus une contre-indication absolue au traitement : le risque de malformation est comparé à celui qu’emporterait l’arrêt de la lithiothérapie mais, lorsque le traitement est poursuivi, il impose une surveillance anténatale stricte.
Au-delà de 50 ans, on pratique un électrocardiogramme.
Le traitement est initié par deux ou trois administrations quotidiennes, réparties sur le nycthémère, lors des repas (Téralithe 250 mg).
L’observance est facilitée par l’utilisation de la forme à libération prolongée administrée en une prise unique vespérale (Téralithe LP 400 mg).
Les effets secondaires les plus courants sont une polyurie et une polydipsie (limitées par administration de diurétiques ou par administration d’une dose vespérale unique), une prise de poids, des troubles cognitifs, un tremblement (limité par administration de ß-bloquants), une sédation, des troubles digestifs (limités par la prise lors des repas), une perte de cheveux, une leucocytose modérée, de l’acné, de l’œdème.
La survenue de troubles cardiaques est plus rare. Un hypothyroïdisme est décrit chez 5 à 35 % des patients.
Le dosage du lithium sérique, effectué toutes les semaines en début de traitement, est ensuite limité à un dosage tous les deux (si grossesse ou lithémie élevée) à six mois. La lithémie efficace se situe entre 0,5 et 0,8 mEq/l mais des taux plus élevés (1,2 mEq/l) sont nécessaires au traitement curatif des accès maniaques (la lithémie s’abaisse en phase maniaque) ou requis avec la forme LP. Des taux les plus bas (0,3 à 0,6 mEq/l), donnant moins d’effets latéraux et assurant une meilleure observance, sont de règle chez le sujet âgé mais sont aussi à l’origine de rechutes plus précoces et plus fréquentes.
Outre l’état de l’humeur et des fonctions psychiques, il faut surveiller le poids, l’hydratation, la fonction rénale, digestive, la thyroïde, veiller aux interactions (AINS, carbamazépine, diurétiques, IEC diminuant l’excrétion rénale du lithium, antipsychotiques induisant parfois un syndrome confusionnel) et effectuer annuellement un dosage de la créatinine sanguine, un ionogramme sanguin, une numération-formule sanguine, un contrôle de la TSH ultrasensible, un électrocardiogramme.
Anticonvulsivants normothymiques.
Les thymorégulateurs anticonvulsivants sont mieux tolérés que le lithium bien qu’ils nécessitent une surveillance régulière de la formule sanguine et de la fonction hépatique.
– Divalproate de sodium (Dépakote) :
L’acide divalproïque (ratio 1:1 d’acide valproïque et de valproate de sodium) est indiqué dans le traitement curatif des épisodes maniaques de l’adulte, en cas de contre-indication ou d’échec au lithium.
Bénéficiant d’une bonne tolérance à la posologie de 20-30 mg/kg/jour, avec des taux sériques efficaces compris entre 50 et 125 µg/ml, il expose à un risque de somnolence, à des troubles digestifs, à une chute des cheveux, à une prise de poids, à des troubles menstruels. Exceptionnellement, il peut induire des troubles hépatiques, hématologiques ou pancréatiques. Il est recommandé en traitement de première ligne dans le traitement des épisodes sévères maniaques ou mixtes, en association avec un antipsychotique atypique ; sa prescription en monothérapie suffit dans les formes légères à modérées. Le divalproate peut aussi être prescrit au long terme, en prophylaxie, au même titre que le lithium auquel il peut s’associer.
– Valpromide (Dépamide) :
Le valpromide est indiqué dans le traitement du trouble bipolaire en cas de contre-indication ou d’intolérance au lithium et à la carbamazépine.
Son efficacité n’a pas été démontrée dans le traitement des accès aigus.
– Carbamazépine (Tégrétol) :
La carbamazépine a une action curative des épisodes maniaques aigus comparable à celle du lithium et à celle des antipsychotiques (avec moins d’effets latéraux que ces derniers) : elle est efficace sur 50 à 70 % des patients. Son action est très satisfaisante sur la prévention des épisodes dysthymiques de toute nature. La carbamazépine est indiquée en cas de résistance ou de contre-indication au lithium auquel elle peut être associée. Après avoir éliminé les contre-indications (troubles du rythme cardiaque) et pris en compte les précautions d’emploi (glaucome par fermeture de l’angle, adénome prostatique notamment) et effectué une numération-formule sanguine, un bilan hépatique, un ionogramme, une créatininémie et un électrocardiogramme, la carbamazépine s’administre à doses progressives (paliers de deux à cinq jours), en évaluant la tolérance, en deux à trois prises quotidiennes, avant de passer à la forme à libération prolongée. La posologie est de 400 à 800 mg/j en prophylaxie et de 600 à 1 200 mg/j dans le traitement curatif d’un accès maniaque. L’évaluation de la carbamazépinémie permet d’adapter la posologie à une fourchette de taux plasmatiques de 4 à 12 µg/ml. Elle est effectuée après une semaine de traitement, puis tous les mois au début, de même que la surveillance de la numération formule sanguine et des enzymes hépatiques, puis tous les deux à trois mois.
Les effets indésirables d’ordre neurologique (diplopie et autres troubles de la vision, fatigue, nausée, ataxie) sont souvent transitoires. Rashs cutanés, leucopénie, thrombocytopénie, hyponatrémie, hypo-osmolalité, prise de poids sont moins fréquents. La fonction hépatique peut être altérée.
– Lamotrigine (Lamictal) :
La lamotrigine (Lamictal) bénéficie d’une indication dans la prévention des épisodes dépressifs chez les patients présentant un trouble bipolaire de type I, et qui ont une prédominance d’épisode dépressif. La posologie moyenne d’entretien est comprise entre 200 et 300 mg/j.
Son administration expose à des effets indésirables cutanés justifiant une instauration progressive du traitement (doses variables selon le schéma du traitement, en monothérapie ou non). Son association au divalproate (Dépakote) – comme au valpromide – augmente ses taux sériques et le risque toxique : il est alors nécessaire de réduire sa posologie moyenne journalière d’entretien à 100 mg/j. La survenue d’idées suicidaires justifie la surveillance des patients ayant des antécédents dépressifs sévères.
Antipsychotiques.
L’essentiel de la prescription porte, pour le patient bipolaire, sur les antipsychotiques atypiques (qui exposent moins à iatrogénie neurologique) souvent administrés en première ligne comme adjuvants aux thymorégulateurs.
– Olanzapine (Zyprexa, Zyprexa Vélotab) :
L’olanzapine a une action antimaniaque et thymorégulatrice similaire à celle du lithium.
Elle est indiquée en première intention :
- sous forme orale dans le traitement d’un épisode maniaque modéré à sévère, ainsi que dans la prévention des récidives chez le patient présentant un trouble bipolaire, ayant déjà répondu au traitement par olanzapine lors d’un épisode maniaque ;
- sous forme injectable pour contrôler l’agitation et les troubles du comportement chez les patients présentant des épisodes maniaques, si un traitement oral n’est pas adapté.
L’association de l’olanzapine à des normothymiques se révèle plus active qu’une monothérapie sur les épisodes maniaques ou mixtes.
– Rispéridone (Risperdal, RisperdalOro) :
La rispéridone a une action antidépressive intrinsèque et une action antimaniaque aussi efficace que celle du lithium à une posologie moyenne de 2 à 6 mg/jour. Prescrite en monothérapie ou en association à un normothymique conventionnel, elle est indiquée dans le traitement à court terme des épisodes maniaques aigus modérés à sévères. Son administration ne doit pas excéder 3 semaines.
– Aripiprazole (Abilify):
L’aripiprazole bénéficie d’une indication dans le traitement des épisodes maniaques modérés à sévères des troubles bipolaires de type I (15 mg/j) et dans la prévention des récidives d’épisodes maniaques chez des patients ayant présenté des épisodes à prédominance maniaque et pour qui les épisodes maniaques ont déjà répondu à un traitement par aripiprazole (15 mg/j ou moins selon clinique).
– Quétiapine (Xéroquel) :
La quétiapine est structurellement proche de l’olanzapine ou de la clozapine. Pour s’en tenir au trouble bipolaire, cet antipsychotique est indiqué dans le traitement des épisodes dépressifs (dose quotidienne pendant les quatre premiers jours de traitement : 50 mg (j1), 100 mg (j2), 200 mg (j3) et 300 mg (j4) ; dose recommandée est de 300 mg/j mais certains patients tirent bénéfice d’une dose allant jusqu’à 600 mg) et la prévention des récidives (le patient ayant répondu au médicament dans le traitement d’un épisode aigu continue le traitement à la même dose : la posologie peut être ajustée dans l’intervalle de dose de 300-800 mg/j).
– Clozapine (Léponex) :
La clozapine est efficace (hors AMM) sur les troubles schizo-affectifs ou bipolaires, y compris chez le sujet résistant ou intolérant au lithium, à la carbamazépine, au divalproate ou aux antipsychotiques conventionnels, ainsi que chez le sujet à cycles rapides.
Elle expose à un risque d’agranulocytose, à une hypersialorrhée et à une sédation.
Antidépresseurs.
Les antidépresseurs constituent le traitement de première intention de l’épisode dépressif. Il n’y a pas de raison de privilégier une famille plutôt qu’une autre pour traiter un accès dépressif chez un sujet bipolaire, mais un virage maniaque est plus fréquent avec un tricyclique ou un IMAO. L’antidépresseur, parfois potentialisé par une hormone thyroïdienne (Lévothyrox) (hors AMM), est généralement associé à un normothymique pour prévenir le risque de virage maniaque. Le traitement est poursuivi sur une période d’au moins six mois après la disparition de la symptomatologie dépressive pour prévenir les rechutes.
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