L’ENJEU de la prise en charge des maladies chroniques est considérable : à l’échelle mondiale, ces affections constituent la première cause de décès et d’invalidité et ne sont plus l’apanage des pays développés ou des seules populations déjà âgées, et, à l’échelle nationale, plus de 15 millions de personnes sont atteintes par une affection chronique (au moins), dont la moitié le sont sévèrement et représentent un coût excédant 84 milliards d’euros/an à l’assurance-maladie. C’est pour y répondre que l’OMS et les gouvernements de divers pays tentent de mieux organiser leur prise en charge (cf. en France : loi de santé publique du 9 août 2004, etc. et Plan 2007-2011 pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques).
Maladie aiguë, maladie chronique.
Les maladies chroniques traditionnelles se manifestent différemment des maladies aiguës. Pour l’OMS, ces maladies, extrêmement diversifiées, ont bien sûr une étiologie organique, psychologique ou cognitive, évoluent depuis plusieurs mois, en ayant un retentissement sur la vie quotidienne (limitation des activités, dépendance à un traitement, une technologie médicale, une assistance, etc.) et s’inscrivent dans la temporalité (il n’y a pas de guérison prévisible en l’état actuel des connaissances médicales).
Dans tous les cas, le patient atteint d’une pathologie chronique souffre non seulement de la maladie elle-même au quotidien, mais aussi de sa durée indéfinie sans même évoquer ici le stress s’ajoutant aux manifestations somatiques de l’affection, le traumatisme lié à un diagnostic parfois difficile et long à poser, la réponse stigmatisante de la famille, de la société et des collègues de travail qui s’accommodent mal de la chronicité des symptômes : le patient ne « s’améliore » pas et ne peut plus s’acquitter ou s’acquitter aussi efficacement, des mêmes fonctions ou responsabilités que par le passé. Ainsi, avancer en âge avec une maladie chronique constitue une source d’anxiété pour beaucoup de patients dont la qualité de vie est altérée par le processus pathologique à l’œuvre et l’iatrogénie de traitements médicaux toujours plus efficaces mais dont l’index thérapeutique reste souvent médiocre.
Des maladies aiguës devenant chroniques.
Les maladies chroniques, caractérisées par une évolution progressive sur des années conduisant à un handicap s’accentuant jusqu’au décès sont extrêmement diversifiées et concernent toutes les fonctions de l’organisme : diabète, asthme et BPCO, hypertension artérielle, insuffisance rénale chronique, cirrhose, maladies neurodégénératives type Alzheimer ou Parkinson, sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante, épilepsie, schizophrénie, maladies chroniques inflammatoires de l’intestin, syndrome de fatigue chronique, etc.
Désormais, ce panorama s’est encore élargi avec des maladies dont la chronicisation restait inenvisageable il y a seulement quelques années :
- Il en va ainsi des affections suivant une pathologie aiguë jadis inguérissable (un exemple éloquent est l’infection par le VIH, devenue, avec les multithérapies antivirales une maladie chronique ayant un retentissement systémique sur l’organisme : beaucoup de patients décèdent sans que l’infection ait évolué au stade de sida).
- Il en va aussi des affections chroniques créées par les progrès de la médecine : pour s’en tenir à deux exemples, il suffit d’évoquer le cancer (jadis soit guéri par chirurgie ou radiothérapie soit plus ou moins rapidement fatal, mais qui est aujourd’hui souvent transformé en maladie chronique nécessitant des lignes successives de traitements de plus en plus ciblés et efficaces) ou d’évoquer des maladies rares (comme la mucoviscidose jadis généralement fatale dès l’enfance ou l’adolescence, mais aussi comme diverses maladies génétiques dont la chronicisation est permise par la commercialisation de médicaments de « suppléance », enzymatique par exemple).
- De façon plus marginale, il faut citer des maladies chroniques créées par un processus iatrogène : la migraine se chronicise ainsi lors d’un abus de médicaments antimigraineux, et l’abus de certains antalgiques peut être cause d’accoutumance et de dépendance.
- On peut noter enfin que certaines maladies chroniques deviennent désormais curables : l’actualité met ainsi en exergue les progrès réalisés dans le traitement de l’hépatite C. La boucle est alors bouclée.
Un paradigme médical et social nouveau.
La prévalence et la survie des patients atteints de maladies chroniques ayant augmenté avec le développement de traitements de plus en plus performants, il a fallu développer de nouveaux modèles de soins au long cours. En effet, si les maladies chroniques ont toujours existé, la médecine a privilégié, jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, la prise en charge des affections aiguës (notamment infectieuses), qui frappaient par leur potentiel épidémique et concernaient plus directement la société en affectant des sujets encore jeunes. Par ailleurs, les connaissances en génétique et en biologie moléculaire demeuraient encore insuffisantes pour envisager de traiter avec efficacité l’immense majorité des maladies chroniques, à l’égard desquelles, donc, le médecin ne proposait guère que des solutions palliatives ou purement symptomatiques.
La maladie chronique, que l’on sait, au mieux, que stabiliser, s’aggrave sous l’influence de facteurs nombreux : non-observance d’un traitement a priori indéfini, exposant à une iatrogénie souvent non négligeable, méconnaissance des stratégies d’autogestion de l’affection, développement de comorbidités, non-application de règles hygiénodiététiques adaptées, démission de l’entourage, précarité sociale… En regard de la complexité de son approche, notre système de soin reste adapté avant tout aux maladies aiguës (consultations médicales brèves, attente d’un résultat rapide, rôle prépondérant du médicament). La maladie chronique impose un rythme différent et une pluralité des techniques de soins et d’accompagnement, toutes parfaitement coordonnées, intégrant le fait qu’une même intervention a un impact différent en fonction du moment où elle s’inscrit dans le cours de la maladie. De plus, notre système de gestion des soins, dans un constant souci de maîtrise des coûts, tend à réduire le temps de prise en charge des patients plutôt qu’à l’augmenter comme il serait nécessaire pour que l’équipe de soins puisse jouer le rôle essentiel qui est le sien.
Mais, au-delà, le patient doit apprendre à s’impliquer dans la gestion de sa maladie, en un mot il doit savoir se l’« approprier » : c’est le « vivre avec » souvent mis en avant par les associations de patients. C’est également son entourage familial, professionnel et social qui doit apprendre à accepter et à composer à long terme avec la maladie.
Les répercussions des maladies chroniques se situent autant sur le plan économique que familial ou social. Les modes de fonctionnement de l’ensemble de la famille ont besoin d’être réorganisés. Les patients peuvent nécessiter des soins continus simplement pour gérer les activités de la vie quotidienne. Certains peuvent ne pas être en mesure de travailler ou de fréquenter l’école, ou ne le faire que pendant un faible nombre d’heures. Les frais médicaux deviennent un problème, même si les patients sont couverts par une assurance médicale.
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