Si le dépistage est une mission historique du pharmacien, cela ne fait que quelques années que la pratique est réellement encadrée. D’après Véronique Avignon-Huet, consultante et formatrice chez ACV Pharma, qui a d’abord été adjointe pendant 10 ans, titulaire pendant 15 ans et en pharmacie à usage intérieur pendant 5 ans, les pharmaciens impliqués proposent de longue date de dépister le diabète de leurs patients, sans se poser la question de savoir s’ils peuvent réaliser eux-mêmes le test ou s’ils doivent laisser faire le patient. Jusqu’en 2013.
Sur une idée du directeur adjoint de son cabinet (devenu ensuite directeur dudit cabinet) Bruno Maquart, la précédente ministre de la Santé Marisol Touraine autorise officiellement les pharmaciens d’officine à mener des dépistages pour trois pathologies : l’angine, la grippe et le diabète. Les dépistages de l’angine et de la grippe sont des nouveautés pour les confrères. Pour le test de l’angine, dont le but est de savoir si elle est virale ou bactérienne, l’idée est issue d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2011 sur les « Pharmacies d’officine : rémunération, missions, réseau » qui notait alors que ces tests, pourtant fort utiles pour adapter le traitement, ne sont quasiment pas utilisés par les médecins alors qu’ils sont fournis gracieusement par l’Assurance-maladie. Comme pour les médicaments génériques, on pense alors à confier cette mission aux pharmaciens. D’autant que la prévention en général, et le dépistage en particulier, est bien une mission des officinaux consacrée par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009.
La reconnaissance
Dès parution de l’arrêté le 11 juin 2013, les formations se multiplient pour permettre aux pharmaciens d’assurer un dépistage et un accompagnement de qualité auprès des usagers. Seul hic : dans l’attente de certains textes, le pharmacien ne peut être rémunéré pour la pratique d’un test de dépistage, tout juste peut-il demander le remboursement du TROD utilisé puisque lui ne bénéficie pas d’une mise à disposition gracieuse par l’Assurance-maladie. À peine commence-t-il à être rodé à ces nouvelles missions que le Conseil d’État annule, le 8 avril 2015, l’arrêté permettant au pharmacien de pratiquer certains TROD. Motif ? Une requête des médecins biologistes, très défavorables à la pratique des TROD par les officinaux, qui ont trouvé un vice de procédure pour obtenir l’annulation de cet arrêté. Interrogés, groupements et pharmaciens expliquent alors être revenus à leurs méthodes d’avant 2013 : proposer des dépistages en lien avec des campagnes de santé publique et inciter l’usager à pratiquer lui-même le test (autotest donc). Même s’il s’agit d’un vice de forme et que le gouvernement a promis un nouvel arrêté rapidement, nombre de confrères se démotivent. Et lorsque le nouvel arrêté les autorise à nouveau à pratiquer les TROD angine, grippe et glycémie, l’enthousiasme initial n’est plus vraiment au rendez-vous. « Je l’ai rapidement vu au nombre de formations proposées par les organismes habilités, en chute libre. À force de faire le yoyo législatif, de démarrer des entretiens qui sont ensuite freinés pour finalement être mal payés, les pharmaciens sont un peu refroidis et ont le sentiment de n’avoir aucune reconnaissance pour les actions qu’ils mènent. Et je ne parle même pas des difficultés rencontrées avec d’autres professionnels de santé », remarque Véronique Avignon-Huet.
Le défi
Heureusement, il y a les irréductibles, ceux qui sont toujours à la pointe des nouvelles missions. C’est le cas de Martial Fraysse, titulaire à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), qui s’était lancé peu de temps après l’arrêté de juin 2013. Vingt-cinq tests angine plus tard, il estimait l’expérience réussie et comptait poursuivre cette offre appréciée dans son officine. Mais il a dû stopper net cette activité en avril 2015, avant de pouvoir la reprendre en août 2016. « Je note une différence dans le comportement des patients, précise Martial Fraysse. Avant avril 2015, ils venaient faire le test avant d’aller chez leur médecin, pour savoir si une consultation médicale était nécessaire. Maintenant, ils viennent après la consultation médicale, choqués que le médecin ne leur ait pas fait passer le test angine pour vérifier qu’on ne leur a pas prescrit un antibiotique inutile. » Ce qui montre que les usagers savent maintenant que le test oropharyngé existe et connaissent la différence entre angine bactérienne et virale (ainsi que la différence de traitement qui en découle). Seul regret pour Martial Fraysse, que le nouvel arrêté d’août 2016 ne permette la pratique du TROD de glycémie que pendant les campagnes de prévention du diabète. « Hors campagne, les patients peuvent toujours venir se dépister à l’officine, ils font simplement le test eux-mêmes. Sauf en cas d’urgence, quand on appelle le SAMU et qu’on nous demande de faire un test de glycémie. » Avec la campagne en cours tout le mois de novembre, le titulaire réalise un à deux tests de glycémie par jour. Parfait pour remplir le défi lancé par l’URPS Pharmaciens d’île de France de 30 tests réalisés dans le mois.
La réglementation
Les groupements de pharmaciens sont souvent les premiers à mettre en place des missions nouvelles, parfois bien avant que celles-ci soient officiellement entérinées. C’est le cas chez Giropharm, acteur historique du dépistage dont le credo reste néanmoins de toujours être exemplaire face à la réglementation en vigueur. L’arrêté de 2013 avait permis aux pharmaciens de réaliser eux-mêmes le TROD glycémie qui était jusqu’alors utilisé comme un autotest, et de mettre en place le TROD angine. Avec le retour des TROD en officine en août 2016, le groupement a remobilisé ses troupes. Notamment pour le mois du diabète en novembre, avec 22 soirées de formation partout en France tout au long du mois d’octobre. « Nous nous sommes rendu compte que les pharmaciens ne savaient plus s’ils pouvaient réaliser eux-mêmes le test, c’est l’effet des changements de réglementation. Même ceux qui savent, ils ignorent souvent qu’ils ne peuvent réaliser le test de glycémie capillaire qu’au cours d’une campagne », explique Stéphanie Corre-Le Bail, directrice santé qualité formation chez Giropharm. Les soirées ont permis de se focaliser non seulement sur la réglementation, mais aussi sur la procédure qualité et les fiches de résultats, sur le recrutement des patients, sur la façon d’impliquer toute l’équipe, ainsi que sur la manière d’annoncer les résultats du test. « Cette mission repositionne le pharmacien dans un rôle de prévention. Il est conscient qu’il réalise un test rapide d’orientation diagnostique qui, comme son nom l’indique, n’a pas valeur de diagnostic mais permet de repérer une anomalie et d’orienter au besoin vers le médecin. »
L’annonce
Une façon d’aborder la question du dépistage, essentielle à l’officine à l’heure où la Haute Autorité de santé (HAS) recommande la pratique des TROD VIH par le pharmacien d’officine. « À mes yeux, il est aussi lourd d’annoncer à un patient qu’il est diabétique que de lui dire qu’il est séropositif. Mais la question ne doit pas se poser pour le pharmacien qui ne peut proposer que des tests d’orientation diagnostic, le travail d’annonce revient toujours au médecin, après analyses biologiques. Je suis tout à fait favorable à ce que le TROD VIH soit pratiqué à l’officine, je suis d’ailleurs favorable à ce que tous les autotests actuellement proposés à l’officine deviennent des TROD, donc des tests pratiqués par les pharmaciens plutôt que par les patients », souligne Véronique Avignon-Huet. Les recommandations de la HAS n’ont, pour l’heure, pas été suivies d’effet. La mission intéresse néanmoins l’officine, qui n’a pas oublié le chassé-croisé de 2015 : l’arrivée des autotests du VIH dans les rayons, cinq mois après l’annulation des TROD pratiqués par les pharmaciens. Une idée en tout cas défendue par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) depuis les premiers TROD à l’officine. « Le circuit officinal devrait être amené à pratiquer la plupart des tests de dépistage à l’avenir, affirme ainsi le vice-président Philippe Besset. C’est un créneau que l’officine doit occuper en toute logique parce qu’elle est un lieu de santé de proximité, accessible à tous, avec des professionnels toujours présents pour accueillir, orienter, conseiller le patient (…) Aujourd’hui les pharmaciens peuvent pratiquer trois tests ; à l’avenir, bien d’autres tests pourront être effectués à l’officine, peut-être le dépistage du VIH, peut-être celui de l’hypertension, et pourquoi pas, les tests ADN dans un futur qui aujourd’hui ressemble à de la science-fiction ? »
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