On l’ignore souvent, mais la plupart des essais cliniques concernant les nouveaux médicaments ont été pendant longtemps très majoritairement réalisés sur des hommes.
En raison des risques potentiels pour le fœtus en cas de grossesse méconnue ainsi que des fluctuations hormonales en rapport avec le cycle menstruel. Cela a entraîné une insuffisance de données de pharmacocinétiques dans le sexe féminin et de recommandations de posologies différenciées en fonction du sexe.
Ce que l’on soupçonnait depuis longtemps, autrement dit des différences de fréquences des effets indésirables de nombreux médicaments dans les deux sexes ont été clairement objectivées par une grande revue de plus de 5 000 publications réalisées par deux auteurs américains, dont les résultats ont été récemment publiés dans Biology of sex différences.
Des effets indésirables « genrés »
Il en ressort que les femmes présentent deux fois plus d’effets indésirables liés aux médicaments que les hommes !
Ces effets seraient en rapport avec des différences parfois marquées dans la cinétique : concentration maximale, aire sous la courbe, volume de distribution… Et aussi en ce qui concerne les processus d’inactivation/élimination (clairance rénale – débit de filtration glomérulaire plus faible que chez les hommes - activité enzymatique, notamment hépatique), sans oublier d’éventuelles variations lors du cycle menstruel.
De fait, les femmes présentent souvent un poids inférieur, une masse grasse supérieure, des expressions enzymatiques parfois différentes, et aussi un temps de vidange gastrique plus lent, un pH gastrique plus faible, un volume plasmatique moins important… Tous facteurs susceptibles d’être à l’origine de modifications dans la pharmacocinétique pouvant expliquer une majoration de l’incidence des effets indésirables dans le sexe féminin.
Vers une diminution des posologies ?
Les chercheurs américains ont identifié 86 médicaments (voir encadré), appartenant à de multiples classes pharmacologiques, dont des variations significatives de paramètres cinétiques en fonction du sexe sont fortement prédictives (96 %) d’une incidence plus élevée d’événements indésirables.
Ces résultats militent pour une réduction des doses (ainsi depuis quelques années, par exemple, la FDA – Food and Drug Administration - conseille de diviser par deux les doses de zolpidem) lorsque des données objectives sont disponibles ; mais aussi à informer les femmes.
Prendre en compte les périodes clés
Certains scientifiques appellent à une particulière vigilance lors des moments clés de la vie de la femme qui s’accompagnent d’importants bouleversements hormonaux, comme la grossesse, le post-partum ou encore la ménopause. Tout particulièrement en cas de traitements au long cours de pathologies chroniques, comme l’asthme, l’épilepsie, les pathologies rhumatismales…
La grossesse mérite un focus particulier en raison de l’importance des changements physiologiques qui peuvent avoir d’importantes conséquences sur la pharmacocinétique. En sachant que les données sont toutefois limitées, souvent obtenues au cours d’études observationnelles incluant un nombre restreint de patientes.
C’est ainsi que l’on observe, notamment, une diminution progressive de la motilité intestinale (rôle de la progestérone) avec un temps de transit gastro-intestinal augmenté de 30 à 50 % (absorption retardée, baisse de la concentration maximale, augmentation du délai d’action, possible prolongation des effets, mais dans la réalité souvent imprévisible), une élévation du pH gastrique (modification du degré d’ionisation de certains acides et bases faibles et donc de l’absorption), une éventuelle facilitation de l’absorption des médicaments lipophiles par les muqueuses, par voie transcutanée, sous-cutanée et intramusculaire (via une augmentation du débit cardiaque).
Dans un autre ordre d’idée, l’augmentation du volume plasmatique (d’environ 50 %) et de l’eau corporelle totale entraîne une majoration du volume de distribution des médicaments hydrosolubles et par voie de conséquence une diminution de leur concentration maximale (une augmentation de la dose peut donc s’avérer nécessaire pour maintenir des concentrations plasmatiques thérapeutiques). Signalons à ce sujet que le volume de distribution des médicaments liposolubles est lui aussi majoré en raison d’une augmentation de la masse adipeuse (3 à 4 kg en moyenne) ; avec les mêmes conséquences.
L’élimination rénale de la fraction non liée aux protéines plasmatique est majorée corrélativement à l’augmentation importante du flot sanguin rénal et du débit de filtration glomérulaire (suivi d’une rapide évolution inverse après l’accouchement : nécessité de diminuer alors la posologie de certains produits).
Citons encore une baisse de la concentration des protéines plasmatiques (et de leur capacité à lier les médicaments) par l’effet des hormones stéroïdiennes et placentaires, et les acides gras libres ; mais, comme rien n’est simple, c’est surtout vrai de l’albumine et pas de toutes les protéines, comme l’alphaglycoprotéine acide (qui lie notamment les opiacés, les antidépresseurs tricycliques et les bêta-bloquants).
Enfin, et sans épuiser ce sujet complexe, évoquons également l’existence de variations dans l’activité enzymatique impliquée dans la métabolisation des médicaments, tout particulièrement en ce qui concerne les cytochromes P450 ; la plupart étant augmentée (CYP3A4, CYP2A6*, CYP2D6), mais certaines diminuées (CYP1A2, CYP2C19)… avec de grandes variations interindividuelles.
Du côté des pathologies aussi
La prise en compte du sexe dans un traitement différencié de certaines pathologies semble promise aussi à un bel avenir.
C’est ainsi, par exemple, que les bêta-bloquants exposeraient les femmes souffrant d’un syndrome coronaire aigu (infarctus du myocarde) à un sur-risque d’insuffisance cardiaque, que des incertitudes concernent la thrombolyse (accident vasculaire cérébral ischémique) chez les femmes enceintes, en période de post-partum et de menstruation, que des données suggèrent l’intérêt d’une prise en charge personnalisée du diabète selon le sexe et que le tabagisme représente un facteur de risque cardiovasculaire genré**, majoré de 25 % chez les femmes.
*Cela peut conduire à une augmentation des doses de substituts nicotiniques dans le cadre d’un sevrage tabagique au cours de la grossesse.
**Action antiestrogénique du tabac, différences métaboliques, surface corporelle moindre…
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