LES PHARMACIENS et les hautes technologies, voilà bien une histoire d’amour qui a su résister au temps. De fait, ces 30 dernières années, la profession s’est hissée au top des professionnels de santé en ce qui concerne l’usage de l’informatique, et cela quels que soient les aléas rencontrés et le rythme très dense auquel il a fallu accomplir tous ces changements. Les pharmaciens ont su intégrer la nouveauté avec une réelle facilité, « démentant ainsi l’image conservatrice qu’ils véhiculent à tort parfois, celle d’une profession très individualiste, avec beaucoup de certitudes et qui n’avance pas », rappelle Jean-Christophe Lauzeral, directeur général opérationnel de Giropharm.
Le tiers payant, par quoi tout commence.
L’attrait pour l’informatique et les nouvelles technologies, telles qu’on les appelait encore dans les années quatre-vingt, n’est pas tombé du ciel. Il a fallu un aiguillon très fort, et celui-ci a été le tiers payant. C’est depuis 1982 que les officines de ville peuvent pratiquer le tiers payant, et c’est durant les années quatre-vingt-dix qu’il s’est généralisé, d’abord grâce aux progrès de la télétransmission, qui a vite remplacé disquettes et CD-ROM, et ensuite sous la férule du GIE Sésame Vitale qui après plusieurs expérimentations dès 1993, déploie le tiers payant avec la signature de la CPS dans l’ensemble du pays en 1998. À un moment où l’usage de l’informatique est largement entré dans les mœurs des officines. C’est que le tiers payant a permis une telle économie de temps passé à la gestion administrative des remboursements que les pharmaciens ont volontiers accepté de se lancer dans l’aventure de l’informatique, jusque-là cantonnée à l’usage de quelques mini-ordinateurs, modèles quasi préhistoriques des systèmes d’information.
Le tiers payant fait émerger les nouvelles technologies au comptoir, il engage le pharmacien dans une recherche de l’efficacité qui le pousse vers la nouveauté. « Un des moments clés a été l’arrivée du stockage de masse, avec les disques durs, jusque-là, nous devions nous contenter des « floppy disk » d’une capacité de 140 Ko », se souvient ainsi Charles Baranès, gérant de La Source Informatique (éditeur de Pharmaland). Ces supports de masse sont arrivés entre 1985 et 1990.
La gestion des stocks, l’autre nécessité.
Presque simultanément à la gestion informatique du tiers payant s’est imposée de manière tout aussi naturelle celle des stocks et des achats. La gestion des stocks se faisait alors par l’intermédiaire de fiches perforées, récupérées et lues par des terminaux idoines, et envoyées aux grossistes répartiteurs. Elle se contentait de commander des quantités en fonction des ventes réalisées, une gestion donc pour le moins rudimentaire. L’informatique a supprimé l’imprécision du système et a généré un gain de trésorerie immédiat chez les pharmaciens. Dans les années quatre-vingt-dix, le PC créé par IBM et Microsoft la décennie précédente règne en maître, des éditeurs ont vite saisi l’opportunité d’apporter des outils de gestion intégrés, traitant à la fois des stocks et des achats, très liés, et bien sûr, le tiers-payant. C’est la naissance des acteurs d’aujourd’hui, Alliadis, Pharmagest, Winpharma entre autres… « Nous nous sommes aperçus que les pharmaciens étaient dans un monde à part », évoque Bénédicte Dekeister, dirigeante de Winpharma. « Comme ils ont commencé à s’informatiser très tôt, ils étaient encore sur des systèmes propriétaires. Nous leur avons offert la possibilité d’aller plus loin en toute autonomie et leur avons apporté Windows, les bases de données relationnelles, le matériel standardisé basé sur les PC. » Cette phase d’informatisation a poussé à intégrer des éléments de gestion traités jusque-là séparément, la facturation notamment. Et elle s’est faite aisément, sans véritable accroc.
La révolution Internet.
L’arrivée d’Internet a été une vraie révolution aux effets foudroyants, elle a d’abord permis d’agréger l’existant. « Au début des années quatre-vingt-dix, nous avions réalisé un cybercafé à Pharmagora », se souvient Alain Aubin, responsable de la ligne produits Alliance Premium chez Alliadis. Mais c’est à partir de 1995-1996 qu’Internet se généralise, y compris dans les officines, pour qui ce nouveau média vient en quelque sorte cimenter quinze ans d’innovations.
Grâce à Internet, la télétransmission se fait encore plus facilement, et dès lors que l’ADSL suit, à la fin des années quatre-vingt-dix et au tournant du siècle, les pharmaciens peuvent travailler plus vite dans tous les domaines. Le Web a ainsi décloisonné le monde de l’officine qui échange beaucoup plus aisément grâce à la dématérialisation des flux avec tous les autres professionnels de son quotidien, laboratoires, grossistes répartiteurs, caisses d’assurance-maladie, banques de données, accès à des statistiques et des comparateurs de prix etc… Mais comme pour toutes les révolutions, les conséquences du nouveau média ne se sont pas toutes fait sentir d’emblée. Aujourd’hui, on en voit ainsi apparaître sous nos yeux, telle la délicate question de la vente en ligne qui continue d’agiter le débat officinal - même si un certain consensus semble émerger -, ou encore l’hébergement de données et la e santé, si déterminante pour l’avenir. Internet, on n’en est qu’au début.
L’automatisation, un moment magique.
Globalement, au début du siècle, l’officine semble avoir accompli sa mue pour l’essentiel. Et pourtant, d’autres évolutions l’attendent, peut-être moins radicales, plus partielles mais qui l’engagent néanmoins sur une optimisation permanente de son activité. Ainsi en est-il de l’automatisation, qui jusqu’à aujourd’hui, ne concerne qu’une minorité d’officines, 3 000 environ, mais pour qui celle-ci a été décisive.
Curieusement, c’est en Allemagne que se joue le destin de l’automatisation des officines françaises. Une législation complexe y lie la délivrance du médicament aux liens entre laboratoires et mutuelles, évoque Bertrand Juchs, directeur de Mach 4. D’où l’émergence rapide d’une offre technologique pour gérer des stocks démultipliés. L’une des innovations s’est révélée plus adaptée au profil des pharmacies françaises, où les fortes rotations sont plus prépondérantes qu’en Allemagne. C’est la naissance de l’automate Apoteka, commercialisé de ce côté-ci du Rhin par la société Mekapharm. Le premier fait son apparition en 1999 et connaît un grand succès. Pour les officines qui ont sauté le pas, voir tomber les boîtes d’une ordonnance après avoir cliqué sur un écran a eu quelque chose de magique au début. Mais l’automate ne permet pas de répondre au traitement des médicaments de faible rotation, d’où l’arrivée du premier robot plus adapté à ces produits, lui aussi venu d’Allemagne, Rowa, commercialisé par ARX dès 2001, suivi deux ans plus tard par une autre marque allemande, Mach 4. Dès lors, d’autres acteurs, français et européens se disputent un marché devenu très concurrentiel qui, depuis 2007-2008, tente de combiner les technologies des robots et des automates en créant des systèmes mixtes ou combinés. Le multipicking, introduit par Rowa en 2010, fait basculer les robots sur ce système qui fait gagner en performance, tandis que petit à petit, le marché tend à se démocratiser un peu, grâce à des tarifs plus accessibles.
Les technologies au comptoir.
D’emblée l’innovation a impliqué le comptoir, avec au début, la gestion du tiers payant et la lecture des cartes Sésame Vitale, mais il y a eu aussi le code-barres qui s’est généralisé en France dans les années quatre-vingt. Forcément relié à un système d’information, le code-barres scanné par un lecteur adapté transmet des informations, le prix, puis au fil de l’évolution technique et réglementaire, d’autres données permettant une gestion plus précise de la traçabilité du médicament. Les réformes ont succédé les unes aux autres, et des codes plus complexes sont apparus, en 2009, le CIP 13 est venu se substituer au CIP 7 permettant ainsi un élargissement de la codification, puis est arrivé le fameux code Datamatrix, qui se distingue du code-barres par son aspect bi dimensionnel, capable d’intégrer de nombreuses informations dont le numéro de lot et la date de péremption. Il est arrivé sur les boîtes des médicaments remboursés en 2012 et a entraîné la suppression de la vignette l’année dernière. Toutes ces évolutions ont conduit les fabricants à proposer des lecteurs ou des PDA (Personnal Digital Assistant) afin de lire le mieux possible ces différents codes.
Et toujours dans le sillage de l’évolution réglementaire, la numérisation des ordonnances a conduit en 2012 et 2013 à poursuivre le travail de dématérialisation et contribué à équiper les comptoirs de nouveaux matériels, des scanners de différentes sortes, les plus petits possibles afin d’apporter le plus de confort aux équipes officinales, avec différents formats et caractéristiques afin de s’adapter aux besoins des officines. Les comptoirs de pharmacie offrent ainsi une véritable vitrine de l’usage des technologies dans le quotidien d’une profession.
Les technologies dans l’espace de vente.
Après avoir conquis le back-office et les comptoirs, les hautes technologies investissent désormais l’espace de vente lui-même depuis une dizaine d’années. Cela a commencé par les écrans dispatchés dans l’officine, c’est simple et ludique pour le patient, cela demande néanmoins une gestion de contenu précise, à laquelle une société, Futuramédia, a répondu dès 2004 en proposant la gratuité en échange d’un contenu géré de bout en bout et partagé entre la publicité et diverses informations, avant de laisser les pharmaciens s’ils le souhaitent piloter une partie du contenu. Les technologies se sont améliorées et depuis 2012 environ, la digitalisation de l’espace de vente s’étend jusqu’à occuper la vitrine des pharmacies, avec des écrans plus fins et à la luminosité plus intense.
De même, les étiquettes électroniques ont fait leur apparition dans les années quatre-vingt-dix mais c’est au milieu des années 2000 qu’elles se généralisent dans les commerces, notamment dans la grande distribution, tandis que les officines suivent avec parcimonie, le coût de ces produits étant élevé. Mais ses nouvelles qualités graphiques en font un élément clé de la gestion des informations dans l’espace de vente, pas seulement relatives aux prix des produits exposés. D’autres technologies digitales sous formes de bornes à partir desquelles il est possible d’informer et d’interagir avec les clients étendent encore la digitalisation de l’espace de vente.
Ces 30 années d’innovations ont accoutumé les pharmacies à aller de l’avant, et leur intérêt pour les hautes technologies ne s’est jamais démenti. Il est étonnant de voir cependant qu’à l’aube d’une nouvelle révolution, celle de la santé connectée, les acteurs de ce nouveau monde dénoncent une certaine forme d’immobilisme des officines. Il faut dire que les enjeux ont changé de dimension, la e santé les confronte à des profils tout à fait nouveaux pour elles, des géants du numérique jusqu’aux plate-forme télémédicales constituées par des assurances ou mutuelles. Leur situation économique tendue et la diversité des choix d’investissement possibles les conduisent à y réfléchir à deux fois, mais il n’y a aucune raison de penser qu’ils ne resteront pas moteurs comme ils l’on été depuis le début.
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