Le cancer du sein est une maladie systémique : à tous les stades de son évolution, extension locale, régionale voire dissémination métastatique restent intriquées. La diversité des situations cliniques et biologiques (sensibilité des tumeurs) explique que la prise en charge de ce cancer soit complexe, notamment s’il y a des métastases, et associe de façon séquentielle ou combinée diverses stratégies thérapeutiques.
Ne seront présentés ici que les seuls traitements médicamenteux anticancéreux, bien que chirurgie et radiothérapie jouent un rôle essentiel dans le traitement du cancer du sein, quel que soit son stade d’évolution (pour détails, voir notamment le Guide ALD « Cancer du sein » mis en ligne par la HAS en 2010). Ne seront pas envisagés, non plus, les traitements spécifiques des troubles satellites du cancer : douleurs, lymphœdème, métastases osseuses, etc.
Certaines tumeurs chimiosensibles répondront à plusieurs lignes de traitement successives ; d’autres, hormonosensibles, répondront à plusieurs lignes d’hormonothérapie avant mise en œuvre d’une chimiothérapie. Dans tous les cas, ce traitement, que ce soit par hormonothérapie, chimiothérapie ou/et thérapie ciblée, impose un bilan préthérapeutique adapté aux antécédents et comorbidités de la patiente, au choix des molécules prescrites et conforme à leur AMM. Préservant au maximum la qualité de vie et incluant des soins de support (ex : traitement antalgique), il doit permettre à la patiente et à ses proches de s’approprier autant que possible la prise en charge de la maladie (rôle de l’éducation thérapeutique).
Médicaments cytotoxiques.
De nombreux cytotoxiques agissent à court terme sur les adénocarcinomes mammaires : administrés souvent en association (cycles de polychimiothérapie), en hôpitaux de jour ou à domicile, ils améliorent la survie des patientes atteintes de tumeurs évoluées ou métastasées. Cette chimiothérapie précède (thérapie néoadjuvante) ou suit (thérapie adjuvante) le geste chirurgical ; elle peut, de même précéder, suivre ou accompagner une radiothérapie. Elle peut être associée à une thérapie ciblée (cf. infra, anti-HER2) ou à une hormonothérapie (forme métastatique d’évolution rapide).
Les cytotoxiques dont l’index thérapeutique est le plus pertinent sont indiqués en première ligne. Citons, pour s’en tenir ici à des traitements usuellement prescrits :
- Antipyrimidiques : 5-fluorouracile (5-FU), capécitabine (Xéloda, prodrogue du 5-FU, voie orale), gemcitabine (Gemzar, analogue de la pyrimidine) ;
- Anthracyclines : doxorubicine (Adriblastine), épirubicine et autres anthracyclines ;
- Agents alkylants : cyclophosphamide (Endoxan), ifosfamide (Holoxan), melphalan (Alkéran), etc.
- Vinca-alcaloïdes (alcaloïdes de la pervenche) : vinblastine (Velbé), vincristine (Oncovin), vindésine (Eldisine), vinorelbine (Navelbine) ;
- Taxanes : paclitaxel (Taxol) et docétaxel (Taxotère), inhibant la mitose en formant des microtubules de tubuline et en empêchant leur dépolymérisation, ont révolutionné la chimiothérapie du cancer du sein chez les patientes en échec ou auxquelles il est impossible d’administrer des anthracyclines.
- Halichondrines : l’éribuline (Halaven, injection IV, usage hospitalier) est indiquée en monothérapie dans la prise en charge du cancer du sein localement avancé ou métastatique. Cet inhibiteur de la dynamique des tubules, analogue de synthèse de l’halichondrine B isolée d’une éponge marine, n’appartient pas à la famille des taxanes.
Hormonothérapie.
L’hormonothérapie inhibe de façon temporaire ou définitive l’action des estrogènes sur la cellule tumorale hormonosensible. La présence de récepteurs à l’estradiol et à la progestérone sur les cellules tumorales constitue un critère permettant d’apprécier leur degré d’hormonodépendance (la réponse excède 50 % pour les tumeurs exprimant des récepteurs à l’estradiol pour chuter à environ 20 % pour les tumeurs n’exprimant pas ces récepteurs).
Diverses pistes sont explorées pour limiter ou ralentir l’échappement à l’hormonothérapie qui survient après quelques mois ou quelques années de traitement : l’évérolimus (Afinitor), un inhibiteur des protéines-kinases, est ainsi indiqué dans le traitement du cancer du sein avancé avec récepteurs hormonaux positifs, HER2 négatif (cf. infra, médicaments anti-HER2), en association avec l’exemestane, chez les femmes ménopausées sans atteinte viscérale symptomatique dès récidive ou progression de la maladie et précédemment traitées par un inhibiteur de l’aromatase non stéroïdien (anastrozole, létrozole, cf. infra).
- Antiestrogènes. Le tamoxifène (Nolvadex), un inhibiteur compétitif des estrogènes endogènes, est administré en première intention comme traitement adjuvant (en prévention des récidives) (20 mg/j) et dans les formes évoluées avec progression locale et/ou métastatique (20 à 40 mg/j). En cas d’échec, un antiaromatase ou un progestatif de synthèse peut constituer une alternative. Ce médicament bénéficie d’un bon index thérapeutique. Les éventuelles nausées sont limitées par le fractionnement des administrations. Une surveillance thromboembolique est indispensable (notamment si association à un autre traitement potentiellement thrombogène) ainsi qu’une surveillance du métabolisme lipidique et de la fonction pancréatique si antécédents d’hypertriglycéridémie. Ce traitement expose au développement de kystes ovariens et à la survenue de ménométrorragies : un examen gynécologique est réalisé avant la première prescription puis tous les ans (risque de cancer de l’endomètre). La survenue possible de troubles visuels (rétinopathie, cataracte, etc.) peut pénaliser la conduite automobile et imposer une surveillance ophtalmologique. Le tamoxifène n’a pas d’effet contraceptif (un cancer du sein constitue une contre-indication théorique à une grossesse et le tamoxifène a une action tératogène sur modèle animal : une contraception efficace s’impose pendant la durée du traitement et jusqu’à deux mois plus tard).
Le torémifène (Fareston), voisin du tamoxifène, est indiqué en première ligne dans les formes métastatiques de cancer du sein hormonosensibles chez la femme ménopausée (60 mg/j).
Le fulvestrant (Faslodex), un antagoniste des récepteurs aux estrogènes, a une affinité pour ces récepteurs comparables à celle de l’estradiol. Inhibant l’activité trophique des estrogènes, il n’a pas d’action agoniste partielle : son mécanisme d’action diffère de celui du tamoxifène ou du torémifène. Le fulvestrant est indiqué dans le traitement du cancer du sein localement avancé ou métastasé chez la femme ménopausée exprimant des récepteurs aux estrogènes positifs, en cas de récidive pendant ou après un traitement adjuvant par un antiestrogène ou en cas de progression de la maladie sous antiestrogène : c’est un traitement de deuxième intention. Présentée en seringue préremplie, cette solution injectable d’action prolongée, conservée au froid, est administrée une fois par mois (500 mg en IM lente). La tolérance du traitement est satisfaisante (bouffées de chaleur, nausées et réactions locales de faible intensité).
- Inhibiteurs de l’aromatase. Les inhibiteurs de l’aromatase (antiaromatases) s’opposent à l’activité de l’enzyme qui catalyse la synthèse des estrogènes, dans les tissus périphériques comme dans la tumeur. De structure stéroïdienne (exemestane = Aromasine) ou non (anastrozole = Arimidex, létrozole = Fémara), ils bénéficient d’un index thérapeutique satisfaisant puisqu’ils n’agissent que peu sur le métabolisme surrénalien et s’administrent par voie orale.
Les antiaromatases sont prescrits chez la femme ménopausée (ils sont d’ailleurs contre-indiqués avant la ménopause), généralement lorsqu’un cancer avancé est devenu résistant au tamoxifène ou en cas d’intolérance à ce médicament. L’exemestane est aussi indiqué dans le traitement adjuvant du cancer du sein invasif à un stade précoce à la suite d’un traitement adjuvant initial d’une durée de 2 à 3 ans par le tamoxifène. L’anastrozole est indiqué également en situation adjuvante. Ces traitements induisent fréquemment des douleurs articulaires.
- Analogues de la LH-RH. L’administration d’analogues agonistes de la LH-RH chez des patientes métastatiques en préménopause induit l’effondrement des taux sériques d’estradiol (effet indirect par action sur l’hypophyse), d’hormone folliculaire et d’hormone lutéïque. Quelques molécules ont une indication dans le traitement du cancer du sein (goséréline = Zoladex, leuproréline ou Énantone LP), uniquement dans les formes métastatiques, avant la ménopause, quand une suppression de la fonction ovarienne s’impose. Ce type de traitement entraîne des bouffées de chaleur, une sudation, une aménorrhée hypogonadotrophique et, à long terme, un risque d’ostéoporose. La survenue de métrorragies impose un examen gynécologique.
- Progestatifs. Prescrits à forte posologie (médroxyprogestérone = Dépo-Prodasone ou Farlutal ; mégestrol = Mégace), ils constituent un traitement palliatif chez des patientes atteintes d’une forme avancée, après échec du tamoxifène (mégestrol) ou comme traitement adjuvant ou complémentaire de la chirurgie ou de la radiothérapie (médroxyprogestérone). Leur action anabolisante s’avère intéressante si l’état général est altéré. Ils peuvent induire une hypercoagulabilité sanguine, une rétention hydrique, de l’hypertension ou de l’insuffisance cardiaque.
Thérapies biologiques ciblées.
Ces traitements visent de façon sélective une cible liée au processus tumoral. De nombreux médicaments de ce type sont commercialisés en cancérologie, et certains incluent dans leur spectre d’indication les tumeurs mammaires. Ces traitements exposent à une iatrogénie parfois sévère imposant une surveillance particulière et pouvant faire récuser leur administration à certaines patientes.
- Anti-HER2. Trois molécules sont aujourd’hui disponibles : trastuzumab, lapatinib et pertuzumab. Leur action est dirigée contre le récepteur transmembranaire HER2 (Human Epidermal Growth Factor Receptor-2), une oncoprotéine dont la surexpression dans le cancer du sein (dans 25 à 30 % des cas de cancer) constitue un facteur de pronostic péjoratif : sa stimulation induit une croissance incontrôlée de la population des cellules néoplasiques.
- Le trastuzumab (Herceptin, prescription hospitalière, première injection en milieu hospitalier) est un anticorps monoclonal humanisé anti-HER2. Il n’est utilisé que chez les patients atteints d’un cancer du sein précoce ou métastatique dont les tumeurs présentent soit une surexpression de HER2, soit une amplification du gène HER2.
- Autre anticorps monclonal, le pertuzumab (Perjeta, AMM européenne en mars 2013) ne cible pas les mêmes épitopes du récepteur HER2 que le précédent. L’association au trastuzumab permet, par action synergique, une inhibition plus puissante de la voie de signalisation de HER2.
- Le lapatinib (Tyverb comprimé 250 mg, prescription hospitalière spécialisée) est un inhibiteur des domaines intérieurs de la tyrosine-kinase des récepteurs EGFR et HER2. Il est indiqué, dans le traitement du cancer du sein avec surexpression des récepteurs HER2 en association à la capécitabine (Xéloda), chez la patiente ayant une maladie avancée ou métastatique en progression après un traitement antérieur ayant comporté une anthracycline, un taxane et un traitement ayant inclus du trastuzumab en situation métastatique, ou en association à un inhibiteur de l’aromatase, chez la patiente ménopausée ayant une maladie métastatique avec des récepteurs hormonaux positifs et chez qui une chimiothérapie n’est pas envisagée.
Des combinaisons d’anti-HER2 sont en cours d’expérimentation, elles-mêmes associées à d’autres types de médicaments (ex : pertuzumab + trastuzumab + docétaxel). L’association de deux anti-HER2 pourrait à court terme constituer un standard dans le traitement des tumeurs du sein métastasées - voire peut-être aussi en situation adjuvante -.
Anti-VEGF.
Cette approche thérapeutique, mise à profit dans le traitement d’autres types de cancers, est ici ciblée, actuellement, par un seul médicament : le bévacizumab.
Le bévacizumab (Avastin, usage hospitalier) est un anticorps qui se lie au VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) et inhibe sa liaison à ses récepteurs, Flt-1 (VEGFR-1) et KDR (VEGFR-2), à la surface des cellules endothéliales. Faisant régresser et normalisant les vaisseaux tumoraux, et inhibant la formation de nouveaux vaisseaux, il limite la croissance tumorale.
Cet anticorps est indiqué, en association au paclitaxel (Taxol), en traitement de première ligne chez la patiente atteinte d’une tumeur métastatique, et, en association à la capécitabine (Xéloda), en traitement de première ligne chez la patiente atteinte d’un cancer métastatique pour laquelle un traitement avec d’autres options de chimiothérapie incluant des taxanes ou des anthracyclines n’est pas approprié (les patientes ayant reçu un traitement à base de taxanes et d’anthracyclines en situation adjuvante au cours des 12 derniers mois sont exclues du traitement par bévacizumab + capécitabine).
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