ON s’était dit rendez-vous dans dix ans… Sur cet air populaire bien connu, les pharmaciens pourraient être invités à célébrer l’anniversaire du droit de substitution. Un anniversaire que d’aucuns semblent toutefois vouloir priver des sons de la fanfare. Dix ans plus tard, ce qui avait fait alors la fierté de toute une profession montrerait en effet quelques signes d’essoufflement. « Un essoufflement tout relatif, compte tenu des performances atteintes », précise néanmoins Christian Lajoux, président du LEEM (Les entreprises du médicament). Fort d’un taux de substitution supérieur à 80 %, « le marché français du générique joue en effet, désormais, dans la cour des grands d’Europe », selon Jean-Pierre Robelet, directeur de l’offre de soins à la CNAMTS. Mais un essoufflement tout de même ! « Avec une croissance de +5,2 % en valeur et de +3,6 % en volume, 2009 aura été l’année où le marché des génériques aura marqué le pas », explique ainsi Pascal Brière, président du GEMME (Générique même médicament). La raison ? « Le taux de 80 % de substitution est un seuil difficile à franchir », précise Claude Japhet, président de l’UNPF. Un avis partagé par l’ensemble des spécialistes (lire aussi l’interview de Claude Le Pen en page 26). D’autant que le nombre croissant de molécules au répertoire a pour effet de diluer les efforts des pharmaciens. « Plus le nombre de molécules substituables ira crescendo, moins les pharmaciens seront performants car ils auront tendance à négliger la part marginale », ajoute encore le président de l’UNPF.
Et le président de la FSPF, Philippe Gaertner, de surenchérir : « La multiplication du nombre de molécules à substituer aboutit à une dispersion des efforts des pharmaciens », alors même qu’il ne faut jamais cesser de convaincre des patients peu enclins naturellement à accepter les génériques. Pour preuve : « le nombre exponentiel d’ordonnances présentées avec la mention non substituable afin d’échapper à la mesure tiers payant contre génériques ». Conséquence : le marché du générique plafonne à 11,5 % en valeur et 23 % en volume du marché du médicament car « 66 % des prescriptions échappent au répertoire », regrette Pascal Brière.
Coup de fouet au marché.
Les pharmaciens n’en demeurent pas moins volontaires et engagés. « Le marché du générique est fondamental pour l’officine », ajoute ainsi Philippe Gaertner. Essentiel à la fois dans la reconnaissance du pharmacien comme spécialiste du médicament et sur le plan économique. « Sans la manne des génériques, bon nombre d’officines auraient déjà fermé leurs portes », précise le président de la FSPF. Autant de raisons qui suffisent à expliquer « le rôle central joué par les pharmaciens et leur volonté d’occuper encore le devant de la scène », selon Jean-Pierre Robelet.
Un rôle qu’ils vont devoir néanmoins partager avec des médecins toujours tentés de prescrire des médicaments récents. « Les compléments de brevets accordés à d’anciennes molécules sont un réel frein à l’essor du marché du générique », déplore ainsi Pascal Brière. Un frein que la CNAMTS s’emploie pourtant à lever par le biais de ses délégués à l’assurance-maladie (DAM), « qui ont un travail de conviction à réaliser », explique Jocelyn Courtois, responsable du département des produits de santé à la CNAMTS. Une évangélisation qui semble cependant encore peu efficace ; quand bien même la CNAMTS considère que « globalement les médecins ont joué le jeu ».
Les députés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en inscrivant dans la première mouture du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2010 une obligation pour les médecins de prescrire dans le répertoire. Un amendement qui a fait l’objet de pressions intenses et a finalement été rejeté par les sénateurs. Un épilogue logique pour le président du GEMME. L’amendement avait pourtant été porté par le rapporteur du PLFSS lui-même, Yves Bur, qui souhaitait « donner un coup de fouet » à un marché soupçonné aujourd’hui de stagner. Une démarche qui, selon Christian Lajoux, risquait de brouiller le message. Une démarche néanmoins saluée par Pascal Brière, qui y voyait « la volonté d’ouvrir le débat sur l’implication des médecins dans l’acceptation des génériques ».
L’impact des CAPI.
Car le marché français du générique ne semble plus capable de se développer avec les seuls pharmaciens. Alors que les officinaux ont porté à bout de bras et contre vents et marées ces copies du princeps, ils semblent désormais marquer le pas. Après avoir essuyé les foudres de praticiens vexés de voir une partie de leur pouvoir de prescription leur échapper, les officinaux risquent donc de devoir s’appuyer sur eux pour redynamiser un marché désormais en pleine stagnation. Et Claude Japhet d’expliquer : « le marché du générique est aujourd’hui comparable à une baignoire qu’il ne faut cesser de remplir, faute d’avoir su la boucher ». Un bouchon que la CNAMTS a cependant essayé de mettre en place avec la création des CAPI (contrat d’amélioration des pratiques individuelles). Reste à savoir si les 12 000 CAPI signés sauront résister à la procédure intentée par le LEEM, au motif, selon Christian Lajoux, qu’ils « ne respecteraient pas les référentiels définis par la Haute autorité de santé (HAS) ».
Rebasage obsolète ?
D’où la nécessité, selon le vice-président de l’USPO, Gilles Bonnefond, de « remettre les trois acteurs autour d’une même table pour travailler à une stratégie commune ». Il semble en effet désormais indispensable, selon le vice-président de l’USPO, que « l’assurance-maladie, les médecins et les pharmaciens fassent front commun et poussent dans le même sens pour que le marché du générique continue de progresser ».
Un front commun qui passe à la fois par des prescriptions dans le répertoire et par un maintien des efforts de substitution. D’autant que « l’avenir est devant nous car des molécules majeures avec d’importantes économies potentielles vont tomber dans le domaine public », ajoute le vice président de l’USPO. En clair, il faut à la fois « poursuivre nos efforts pour maintenir le taux de substitution sur les molécules déjà inscrites au répertoire et maintenir la pression sur les nouvelles molécules pour que le taux de pénétration ne chute pas ». À défaut, le marché du générique, à répertoire constant, connaîtra une érosion quasi naturelle liée aux transferts de prescription.
Un avis partagé par Claude Japhet qui déplore le principe même du « rebasage, incitation à faire porter l’ensemble des efforts sur toutes les molécules, récentes comme anciennes ». Et le président de l’UNPF d’appeler de ses vœux « une nouvelle convention qui ne prenne en compte que les nouvelles molécules pour définir le taux de substitution ». En clair, la convention qui sera prochainement signée devra faire la preuve que l’assurance-maladie fait pleinement confiance aux officinaux et ne craint donc pas qu’ils se désintéressent des molécules anciennes. Une nouvelle étape dans une lune de miel de dix ans ! Une lune de miel saluée par Jocelyn Courtois, de la CNAMTS, qui considère comme « un réel succès les six points de progression du taux de substitution à répertoire constant ».
Répertoire élargi.
Mais les pharmaciens n’entendent pas pour autant se contenter de la situation actuelle. « Il est désormais nécessaire d’élargir le répertoire, comme l’avait prévu le PLFSS 2009 », précise Gilles Bonnefond. Un élargissement qui passera nécessairement par l’intégration de nouvelles formes galéniques, de nouvelles présentations et de nouvelles molécules. « Il est incompréhensible que les sprays, la vitamine E, les calciums ou encore la plupart des produits de la sphère ORL ne figurent pas au répertoire », estime Gilles Bonnefond.
La solution ? « Un encadrement plus strict des règles de promotion et une législation moins défavorable aux génériques », selon l’ensemble des dirigeants de syndicats de pharmaciens. Un moyen peut-être d’atteindre l’objectif du GEMME : « un marché du générique proche du seuil des 30 % en valeur ». Un objectif que Pascal Brière considère « parfaitement réaliste, puisqu’une étude du GEMME a démontré que 70 % des classes thérapeutiques comportaient au moins un groupe au sein du répertoire ». A condition, toutefois que « ne se multiplient pas les aléas difficiles à maîtriser, tels que les déremboursements, le passage en vignette orange ou le retrait inadéquat de molécules importantes, comme le dextropropoxyphène », estime enfin Gilles Bonnefond.
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