Depuis deux ans, l'île de la Réunion est confrontée à une épidémie de dengue et la persistance d'une circulation virale dans ce secteur interroge : faut-il y voir un effet délétère du dérèglement climatique ?
« Nous avons constaté une augmentation des températures, de 1,5 à 2 °C au cours des précédents mois, et un hiver austral particulièrement clément. En 2018, des pluies abondantes ont également arrosé l'île. L'association de ces conditions météorologiques favorise la multiplication et le maintien du moustique Aedes, malgré la mise en place d'une stratégie de lutte antivectorielle chimique et matérielle sur ce territoire », relate le Dr François Chieze, directeur de la veille, de la sécurité sanitaire, et de la santé environnementale à l'ARS océan Indien. Malgré ces faits, il faut rester prudent quant à établir une corrélation trop hâtive entre le réchauffement climatique et une possible expansion des maladies vectorielles. « D'un point de vue scientifique, nous ne disposons pas d'un recul suffisant pour extrapoler les conséquences du dérèglement climatique sur l'évolution d'une maladie vectorielle », souligne le Dr Chieze. D'autant plus qu'aujourd'hui, on observe une stabilité des zones endémiques de la dengue. « La question qui se pose pour la Réunion est de savoir si la dengue va devenir endémique, ou si cet épisode long va finalement se résorber malgré une augmentation confirmée des températures », ajoute le médecin infectiologue et tropicaliste.
Plus de vecteurs ne rime pas avec plus de malades
Les liens entre réchauffement climatique et risque sanitaire s'avèrent particulièrement complexes ; les raccourcis ou les conclusions alarmistes résultent trop souvent d'une confusion entre différentes notions. L'une de ces notions est le risque infectieux. « Dans le cas des maladies vectorielles, le risque infectieux est obtenu en multipliant plusieurs facteurs aléatoires : le vecteur, l'exposition et la vulnérabilité du sujet exposé. Dans cette équation, le moustique représente un danger ; c'est une condition nécessaire au développement de la dengue, mais pas suffisante », insiste Jean-François Guégan, directeur de recherche à l'IRD (Institut de recherche pour le développement) au sein de l'UMR MIVEGEC (1) (Montpellier) et ancien membre du HCSP (Haut conseil de santé publique). Selon ce calcul et malgré la présence du moustique tigre dans 42 départements du sud de la France, le risque infectieux de dengue en métropole tend à se rapprocher de 0. « C'est d'ailleurs ce que confirme un article récent publié en 2018 dans Scientific Reports (2) », complète Jean-François Guégan. « Les conditions météorologiques ont effectivement un impact sur le temps de présence du vecteur au cours de l'année, et sur la dynamique des populations vectorielles comme on a pu l'observer dans le sud de la France après des épisodes cévenols (pluies torrentielles), mais pas sur le risque infectieux », confirme Frédéric Simard, chercheur à l'IRD et responsable de l'UMR MIVEGEC.
En outre, pour établir des conclusions solides, il faudrait connaître l'évolution de l'agent pathogène dans des conditions climatiques inhabituelles. Ces conditions seront-elles favorables à la multiplication du virus ? Au final, les scientifiques se trouvent face à de nombreuses inconnues pour conclure à un impact du changement climatique sur l'évolution positive ou négative d'une maladie vectorielle. Pour Jean-François Guégan, focaliser sur le vecteur ne suffit pas : il est important de développer des connaissances sur la sensibilité de l’interaction hôte/pathogène et vecteur/pathogène aux paramètres météorologiques. « Si l'on prend l'exemple de la grippe saisonnière, sa dynamique de transmission est très associée aux conditions météorologiques, autant sinon plus qu'aux particularités intrinsèques du virus responsable », poursuit le directeur de recherche de l'IRD. D'ailleurs, « on constate que l'infection grippale survient chaque année dans les conditions attendues », souligne François Chieze.
Le moustique voyage avec l'homme
Plutôt que le changement climatique, un phénomène beaucoup plus rapide et plus efficace permet d'assurer la dissémination des vecteurs sur l'ensemble du globe. Par ses déplacements aux quatre coins du globe, l'homme est le plus gros contributeur à la dispersion du moustique tigre par exemple. « Originaire d'Asie, l'Aedes a envahi les autres continents dans les années quatre-vingt en utilisant simplement nos moyens de transport, comme les coffres de voiture. L'habitat citadin lui offre par ailleurs de nombreux avantages : des réserves d'eau stagnante pour la reproduction, et un réservoir alimentaire pour cet insecte hématophage. En ville, il n'y a pas de prédateurs tels que des libellules et les cités modernes tamponnent les aléas climatiques, favorisant sa survie », détaille Frédéric Simard. Ce constat souligne la responsabilité de chaque individu face à une menace d'invasion vectorielle. « Il est important que les voyageurs soient conscients de leur rôle dans la dissémination des agents infectieux et des vecteurs, ceci indépendamment du dérèglement climatique. Les pharmaciens tiennent une place importante dans cette démarche de sensibilisation, notamment par la promotion d'agents répulsifs qui ont démontré leur efficacité. L'utilisation de ces produits permet de réduire le facteur d'exposition. » En réduisant le risque de piqûre, on limite le risque de transmission du pathogène à l'homme et l'infestation du vecteur par le pathogène. « La lutte antivectorielle passe également par l'élimination des gîtes larvaires. Le périmètre de vol du moustique tigre est restreint (de l'ordre de 50 m autour du gîte larvaire d'origine). Si des moustiques sont observés dans un lieu, cela signifie qu'un gîte larvaire existe à proximité », conclut Frédéric Simard.
1) MIVEGEC = maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle.
2) Estimating the probability of dengue virus introduction and secondary autochthonous cases in Europe. E.Massad et coll. Scientific Reports (2018)
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