LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- A l’officine, les robots apportent une aide substantielle aux pharmaciens dans leurs taches quotidiennes. Jusqu’où un acte pharmaceutique responsable pourra-t-il être, selon vous, robotisé ?
M° ALAIN BENSOUSSAN.- Il convient tout d’abord de faire le distinguo entre les automates et robots et les avatars. Ces automates sont déjà bien présents dans les officines et ils vont continuer de s’y développer pour remplacer à terme les pharmaciens dans la composition de la délivrance. Le rôle et la légitimité de ces aides mécanisées iront croissant avec le développement de la prescription électronique et le perfectionnement technique des capteurs associés aux automates. Compte tenu de ces évolutions, la « fabrication » automatisées des ordonnances va s’accélérer. Sans compter que la délivrance à l’unité est peut-être amenée à se développer à l’officine, et que l’automate pourra être en ce domaine d’une aide précieuse. Toutes ces évolutions militent pour l’automatisation de la délivrance.
Le second élément à prendre en compte dans la robotisation de l’acte pharmaceutique, est l’intermédiation. Le pharmacien est de plus en plus souvent soumis à une pression commerciale et administrative qui s’avère plus puissante que la pression scientifique et médicale. Or, dans toutes les officines aujourd’hui existe un avatar du pharmacien qui est le logiciel de détection des interactions médicamenteuses. Ces programmes d’intelligence artificielle ont déjà commencé à remplacer le pharmacien dans ses missions scientifiques. Le contrôle de l’iatrogénie est déjà largement assuré par des machines. Dans ce contexte, on est aujourd’hui incapable de dire si le bip de la machine est prédominant dans la décision du professionnel par rapport à son libre arbitre…
L’automatisation à outrance des taches et missions qui incombent au pharmacien ne risque-t-elle pas, à terme, de le déresponsabiliser ? Faut-il ainsi, par exemple, limiter l’intervention de l’informatique dans les procédures de contrôle d’ordonnance ?
Le pharmacien est déjà en partie déresponsabilisé. Je pense que si on réalisait aujourd’hui le test de Turing (qui consiste à demander à des juges-testeurs, après 5 minutes d’échanges avec un logiciel d’intelligence artificielle, s’il s’agit d’un programme informatique ou d’une personne réelle) entre un pharmacien de chair et d’os et un logiciel de détection d’interaction, on n’aurait peut-être quelque surprise…
La responsabilité juridique d’un éditeur informatique (logiciel de contrôle des interactions médicamenteuses) peut-elle être engagée lors d’un accident de délivrance ? Dans quelle mesure, en cas de faute professionnelle, le pharmacien peut-il invoquer pour sa défense une erreur induite par la technologie ?
Aujourd’hui, il ne peut pas. Mais nous sommes à la fin d’une ère. Jusqu’à maintenant, l’officinal reste, en vertu de l’application des textes, responsable de la situation. Il n’y a aucune ambiguïté vis-à-vis de la loi. La seule chose qu’il peut faire, s’il a été induit en erreur par le logiciel, c’est agir en responsabilité sur un plan contractuel avec l’éditeur. Mais tous les cas, par rapport au client, et de manière générale, par rapport à l’opinion publique, il reste, tant en droit qu’en éthique, responsable de premier niveau. Voilà pour la loi. Mais si l’on se réfère aux conditions de vie réelle d’une officine, lorsqu’il y a beaucoup de monde à servir et des ordonnances longues, sans pour autant l’exonérer de sa responsabilité, l’informatique prend bien souvent le relais de l’humain. Voilà pourquoi nous sommes au tournant d’une nouvelle ère. Une ère qui reste à venir, où la machine trouvera un jour sa responsabilité dans l’acte spécialisé.
Avez-vous eu déjà à défendre un pharmacien qui se serait « caché » derrière son informatique pour une faute qu’il aurait commise ?
Non, car nous ne sommes pas encore entrés dans cette nouvelle ère où les machines (et leurs concepteurs) auront à répondre des fautes qu’elles auront induites chez les hommes. Mais cela viendra.
Quel est l’engagement des éditeurs informatiques face à la loi ?
Les éditeurs n’ont pas d’obligation de résultats, mais de moyens, vis-à-vis de l’acte pharmaceutique. Un acte qui reste, encore une fois, de la responsabilité pleine et entière du pharmacien. Lorsqu’ils sont incriminés, ils ont toute légitimité à rappeler que les outils qu’ils fournissent au professionnel ne sont que des aides à la décision et que la décision pharmaceutique est du seul ressort du pharmacien.
Selon vous, pourrait-on un jour concevoir une pharmacie sans aucune intervention humaine ?
Je pense non seulement que c’est possible, mais aussi qu’il ne s’agit pas du tout de science-fiction. Soixante-dix pour cent des programmes qui existent aujourd’hui sont potentiellement capables, pourvu qu’on les dote d’un robot et d’un module d’intelligence artificielle apte aux recherches sur internet, de produire un acte pharmaceutique de qualité. Technologiquement, en 2014, tous ces logiciels sont à la porte des officines.
Donc cela est techniquement envisageable, sous réserve que l’on fasse l’impasse sur la dimension humaine de la dispensation pharmaceutique…
Bien sûr. Même si celle-ci est parfois réduite à sa portion congrue, et on doit le déplorer… Notamment parce que les contraintes, notamment administratives, pèsent de plus en plus sur le pharmacien. Parallèlement à la montée en puissance de la mécanisation de l’officine, il faudra valoriser le conseil officinal. C’est d’ailleurs, comme dans de nombreux autres domaines, l’un des objectifs de l’automatisation des taches. Libérer le professionnel pour qu’il puisse donner une valeur ajoutée, intellectuelle, humaine, sociale, voire affective, à son exercice quotidien.
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