À la ligne « chiffre d’affaires » du bilan que Joël Lecoeur, expert-comptable et président du réseau CGP, appelle aussi le thermomètre de l’officine, le mercure remonte. Et ce, pour la deuxième année consécutive. Les trois cabinets d'expertise comptable invités à présenter leurs chiffres au cours de la Journée de l’économie de l'officine, notent une légère progression du chiffre d’affaires (vente et rémunérations) au cours de l’exercice 2017 (1).
Certes à 0,47 %, 0,58 %, voire à 1,20 % de hausse relevée en moyenne sur un panel de 2 853 officines (2), on ne peut encore parler que de frémissement. D’autant que, remarquent les experts-comptables, cette légère amélioration est à considérer à l’échelle d’un réseau qui s’est réparti le marché des quelque 1 000 points de vente disparus au cours des dix années. Aussi, les experts préfèrent-ils apprécier ces variations de chiffre d'affaires à la lueur de cet effet mécanique. C'est ainsi qu'ils se prononcent davantage sur une consolidation, soulignant néanmoins avec soulagement que le réseau officinal échappe désormais à la spirale des baisses observées en 2014 et en 2015. Les chiffres d’affaires s’infléchissaient alors de 0,31 %, 0,67 % voire de 1 %, selon les cabinets d'experts-comptables. « Le décrochage appartient désormais au passé », confirme Philippe Becker, directeur du département pharmacie chez Fiducial.
La performance 2017 est d’autant plus notable que, depuis ces années noires, la pression sur le médicament remboursé ne s’est pas relâchée. L’officine contribue en effet d’année en année à la maîtrise des dépenses de santé. Confirmant cette tendance, un milliard d'euros d’économies sera encore demandé au médicament dans le cadre du PLSSS 2019.
Les experts-comptables ont donc tout lieu de se réjouir de cette convalescence du chiffre d’affaires. En renouant avec la croissance à 1,516 million, voire à 1,834 million d’euros, le chiffre d’affaires moyen témoigne en effet de la capacité de résilience d’un réseau à même de trouver de nouvelles ressources d’activité. Et de défier la conjugaison délétère des effets prix et volume de la politique du médicament remboursé, les « médicaments chers » jouant à peine leur rôle d’amortisseurs. Il est évident que, dans ce contexte, les pharmaciens ont misé sur le médicament non remboursé pour asseoir l’essor de leur activité.
Une prime à la taille
Cependant, un autre levier de croissance semble faire ses preuves, les honoraires de dispensation comme nouveau mode de rémunération. Certes, les périodes étudiées par les experts-comptables sont encore trop en amont de la réforme introduite par la signature, en juillet 2017, de l’avenant n° 11 à la convention pharmaceutique, mais d’ores et déjà se profile une source de revenus dont il faudra suivre les évolutions sur l’ensemble de l’exercice (voir encadré).
Autre signal positif relevé par les experts-comptables, dans un paysage économique qui reste très hétérogène, les pharmacies dont le chiffre d’affaires a progressé sont aujourd’hui majoritaires (51,29 % des officines observées par Fiducial, 53,10 % et 54,30 % pour celles étudiées par CGP et KPMG). « Ces officines affichent en moyenne une croissance de 3 à 4 % de leur chiffre d'affaires, tandis que celles en perte de vitesse voient leur activité s'infléchir dans une proportion inverse », analyse Philippe Becker.
Cette statistique ne doit cependant pas occulter la réalité : loin de se gommer, les disparités subsistent et tendent même à s’accentuer. Ainsi les pharmacies des centres commerciaux, progressent une nouvelle fois de manière très correcte, « très certainement tirées par la parapharmacie et l’OTC », et même à plus de 6 %, selon KPMG. Pendant ce temps, celles des gros bourgs, qui constituent la lanterne rouge de l’économie officinale, traduisent en chiffres les conséquences de la désertification médicale et des difficultés d’accès aux prescripteurs : elles marquent 0,74 % d‘évolution négative (réseau CGP).
Cependant, la localisation à elle seule ne suffit plus à garantir la bonne santé de l’officine. Toutes les pharmacies, à lieu d’implantation identique, ne sont pas égales devant les enjeux économiques. En témoigne Joël Lecoeur qui n’hésite pas à parler d’une « prime à la taille ». « Plus une pharmacie est importante en taille et plus elle a des chances de se développer, car elle peut obtenir des conditions commerciales attractives et mener une politique de prix », résume l’expert-comptable. Ce phénomène marqué se répète d'année en année, note-t-il et explique notamment la disparition d'un millier d'officines depuis cinq ans. Car, a contrario, selon les observations du réseau CGP, les pharmacies de moins d'un million de chiffre d'affaires, subissent un recul de 1,48 point de leur activité, celles dont le chiffre d'affaires est situé entre 1 et 1,5 million d'euros, perdent 0,44 point.
Joël Vellozzi, responsable national du réseau professions de santé chez KPMG, note à l’opposé de l'échiquier des pharmacies d’un chiffre d’affaires de plus de 2,2 millions d’euros qui ont ainsi vu leur activité progresser de 3,1 %. L’émergence de méga pharmacie est par ailleurs un phénomène médiatisé apparu dans le viseur des économistes de l’officine. Ce mouvement, également favorisé par les regroupements, sera-t-il accentué par l’érosion de la part du médicament remboursé au sein du chiffre d’affaires de l’officine ? Atteignant encore 76,70 % en 2014, il n’en constitue plus aujourd’hui que 74,84 % selon Fiducial (3). Le réseau CGP observe pour cette même période une régression de 3,15 points à 72,17 %. Chez KPMG, la chute est encore plus drastique avec 3,50 points à 72,30 %.
(1) Statistiques couvrant la période de mars à septembre 2017 pour KPMG et le réseau CGP, de juillet à décembre 2017 pour Fiducial.
(2) Soit 13 % des pharmacies françaises, dont 1 740 pour le réseau CGP, 532 pour KPMG et 581 pour Fiducial.
(3) Le portefeuille du cabinet Fiducial contient davantage de pharmacies rurales dont l'activité est plus centrée sur le médicament remboursé. À noter que la part du médicament remboursé (TVA 2,10 %) comprend les ventes et les honoraires.
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