Un entretien avec le designer Jean-Claude Prinz

« Je rêve d’une pharmacie où l’accueil et les services seraient rois »

Publié le 30/09/2013
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Dans le monde très concurrentiel du design commercial, Jean-Claude Prinz est un nom. Le fondateur de l’agence Prinzdesign s’est spécialisé dans le domaine de l’architecture commerciale, il est notamment connu pour avoir créé les concepts des magasins Monoprix, Habitat, Krys ou encore Bon Marché et Jardiland. Pour avoir également parfois posé son regard sur le monde de l’officine, il propose au « Quotidien » sa vision experte de la « pharmacie idéale ».
Jean-Claude Prinz : " Il n’y a pas une pharmacie idéale »

Jean-Claude Prinz : " Il n’y a pas une pharmacie idéale »
Crédit photo : dr

LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Les officines françaises vous paraissent-elles globalement bien dessinées et adaptées au métier de pharmacien ? Pensez-vous que l’exercice de la pharmacie requiert des conditions d’équipement ou d’ergonomie particulières ?

JEAN-CLAUDE PRINZ.- Les officines françaises ont fait l’objet depuis un certain temps de nombreux nouveaux projets d’aménagement et d’architecture, tant chez les pharmaciens qui sont restés individualistes, que ceux qui se sont réunis au sein de groupements. C’est l’évolution du métier et la dispensation du médicament qui ont permis de nouveaux types d’agencement au sein de l’officine, parapharmacie et médicaments OTC en libre-service, création de points d’accueil confidentiels, espace enfant, espace attente, coin prévention avec prise de tension, etc…

Ceci a entraîné une évolution de l’espace de vente, des codes couleurs, des matériaux employés, et des différentes typologies d’aménagement conceptuels.

Le rangement des médicaments, la gestion du stock informatisée, et la généralisation du tiers payant ont nécessité l’utilisation constante, et l’intégration, d’ordinateurs. La déontologie pharmaceutique crée malgré tout un certain nombre de contraintes à prendre en compte dans l’espace de vente. Ces différents éléments ne permettent pas une réelle révolution, comme l’ont réalisé certains secteurs, comme l’optique ou la parfumerie. Les pharmacies évoluent plus lentement, et essaient de s’assimiler plus à des points de vente qu’à des espaces médicaux, de conseils et de services, même si ces aménagements sont très présents au sein de certaines officines.

Que pensez-vous des codes utilisés dans l’agencement des pharmacies : le vert, les couleurs plutôt froides, le « barrage » parfois créé par les postes de vente ?

Si le vert reste une couleur « symbolique », et la croix verte une forme reconnue de tous, les couleurs et les matières ont fait leur apparition progressivement au sein des officines pour devenir des espaces « tendances » proche des nouveaux concepts de magasins actuels. Les postes de vente ont fait l’objet d’évolution esthétique, fonctionnelle, ergonomique avec un design élaboré vers plus de qualité. La signalétique a également joué un rôle fondamental, par le graphisme, les choix typographiques, et l’application des différents supports ILV (Information sur le lieu de vente) SLV (signalisation sur le lieu de vente) et la PLV (publicité sur le lieu de vente).

« L’Archigraphik », nom créé par l’agence de design AKDV, est le lien entre le graphisme et l’architecture. C’est une nouvelle tendance qui privilégie l’utilisation des supports graphiques, d’écrans, sous forme d’images, de textes et de couleurs permettant au client d’avoir toutes les informations nécessaires en temps réel. Le point de vente devient un véritable support de communication tout le long du parcours du client en lui donnant des expériences à vivre, des conseils sur des choix de produits et en lui expliquant les différents avantages et services. Les produits peuvent devenir inexistants, et l’argumentation et le service deviennent nécessaires pour aider le client. « L’Archigraphik » permet également d’apporter une « touche » locale, originale nécessaire et indispensable pour l’intégration dans le site, la ville ou la région.

Si on vous demandait de dessiner votre pharmacie idéale, une pharmacie Jean-Claude Prinz ?

Je me souviens que j’ai conçu une pharmacie « idéale », écrit deux ouvrages sur les aménagements des officines, il y a quelques années, pour le compte de l’OCP.

Aujourd’hui, pour dessiner ma pharmacie idéale, il me faudrait effectuer une grande étude sur les évolutions du métier du pharmacien, les attentes et les besoins des nouveaux consommateurs, décrypter les envies, les souhaits, les tendances du marché, en fonction des localisations, des centres commerciaux, des villes, des villages. Mais également de la prescription, des services, de l’accueil, pour trouver des concepts originaux de pharmacies idéales. Il faudrait réaliser un benchmark international pour avoir une vision globale et complète sur les nouveaux concepts de pharmacies et autres points de vente qui se développent dans le monde. Il faudrait réunir des spécialistes et mener une véritable réflexion « prospective » sur le fond et la forme, sur l’avenir de la profession à court, moyen et long terme.

Car il n’y a pas une pharmacie idéale, mais plusieurs concepts déclinables selon l’environnement, les surfaces, les produits, les services, le merchandising et les attentes des clients.

Pour ma part, j’aimerais créer des pharmacies où l’accueil et les services seraient primordiaux, introduire de l’innovation et de la créativité sur tous les codes et signes de l’officine pour marquer un territoire propre à ce métier. J’aimerais que ces pharmacies deviennent des références culturelles, économiques et sociétales au sein de leur environnement.

Étant enseignant et intervenant dans les grandes écoles de commerce, d’architecture et de design, c’est le type de réflexion et de projet que je souhaiterai mener conjointement avec des jeunes étudiants d’écoles de commerce et d’architecture intérieure. Cela permet d’aborder une véritable réflexion prospective, sans contraintes absolues, et au-delà de nos propres idées reçues.

Dans votre dernier ouvrage*, vous racontez l’histoire et les évolutions du design commercial. Au-delà de la pharmacie, comment ce propos éclaire-t-il l’avenir architectural du commerce de rue ?

Les magasins, des petites boutiques aux grands centres commerciaux, font partie de notre patrimoine et de notre culture. Ils forment aujourd’hui le spectacle changeant de nos villes. Ce sont des lieux d’achat, de rencontre, d’échanges, mais aussi des lieux de séduction qui témoignent de l’inventivité de leurs créateurs. Les devantures, les enseignes, les vitrines, les aménagements intérieurs, les présentoirs, les ambiances, ont fait l’objet d’une évolution permanente prenant en compte la création architecturale comme argument de vente. Aujourd’hui, le rôle du design, de l’architecture, des aménagements, du merchandising visuel est fondamental dans les concepts de magasins.

J’ai écrit ce livre, avec Olivier Gerval, « Design & Architecture de Commerce » aux éditions Eyrolles, pour faire découvrir le contexte historique de l’architecture du commerce, les lieux d’achat, les typologies de commerce, et dévoiler pourquoi et comment les architectes, les designers, les agences de design, les décorateurs se sont passionnés pour ce marché des points de vente.

Je suis persuadé que le commerce de rue reste et restera un spectacle permanent, un lieu de vie, d’échange, de rencontre et d’animation indispensable à son environnement. C’est un lieu de plaisir, une affiche en 3D, le premier média. La communication, le design et l’architecture sont devenus les moyens de mise en œuvre de ces mutations sociales, économiques, fonctionnelles, esthétiques, merchandising et créatives, du point de vente, avec une approche systémique.

* « Design & Architecture de Commerce » aux éditions Eyrolles.
› PROPOS RECUEILLIS PAR DIDIER DOUKHAN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3033