Et si l’on cessait de dire que les pharmaciens et les médecins sont en retard dans le domaine de la e-santé ? C’est en tout cas le point de vue de Sophie Gillardeau, consultante spécialisée en e santé et gérante de Pharma 3.0, et d’Yves Morvan, directeur de clientèle et expert santé chez Ipsos, point de vue exprimé lors de la dernière édition du congrès Doctors 2.0.
Intervenant au cours d’un atelier sur les professionnels de santé et le digital, ils ont battu en brèche l’idée selon laquelle ces professionnels ne seraient pas prêts à affronter la nouvelle révolution numérique qui s’amorce dans le domaine de la santé. Bien au contraire, les pharmaciens qui ont pris à bras-le-corps l’informatisation de leur activité, certes en partie forcée par le tiers payant, poursuivent leur équipement bon an mal an. « Ils se sont fortement équipés en smartphones et tablettes digitales, affirme ainsi Sophie Gillardeau, et sont prêts à les utiliser à des fins thérapeutiques pour leurs patients. Par ailleurs ils sont 85 % à affirmer être prêts à utiliser les objets connectés. » Même constat établi par Yves Morvan à l’échelle des trois grands pays européens, Allemagne, Grande-Bretagne et France, où une enquête a été menée pour connaître les attentes des médecins en matière digitale. « Après avoir longtemps estimé qu’Internet était le diable, ils en acceptent le rôle désormais, et se lancent volontiers dans l’usage d’applications mobiles ; ils sont 72 % à le faire. »
Se placer dans le cycle d’innovation
Mais alors, si les professionnels de santé se disent prêts, d’où vient ce flottement, cette impression que les choses ne se font pas quand on nous annonce de partout la révolution numérique de la santé ? Pour Yves Morvan, il faut se replacer dans une vision plus large, celle des grands cycles d’innovation. « On a souvent sous estimé le temps d’élaboration des solutions qui ont du succès, estime-t-il, or le temps d’innovation n’est pas linéaire. Il faut se demander à quel moment on est dans ce cycle d’innovation. »
La pléthore de solutions de e santé qui inonde le marché ne doit pas masquer l’absence de réponse claire à la question de savoir si l’on répond vraiment aux besoins des patients. Yves Morvan déplore l’éclatement des initiatives, qui ne permet pas à l’innovation de se répandre. Et de rappeler que « seulement 6 % des patients font confiance aux laboratoires pharmaceutiques pour développer des applications de santé. Il est indispensable de trouver une autre façon de travailler, médecins, pharmaciens, patients, développeurs, payeurs, autorités de santé, doivent se mettre autour d’une table pour créer, tester, valider des solutions ». C’est l’ensemble du système qu’il faut mobilier pour « co-créer » affirme l’analyste.
Communauté de patients
En attendant, les pharmaciens continuent de progresser dans leur maîtrise des technologies. Sophie Gillardeau cite le démarrage des linéaires digitaux, deux cents pharmacies déjà équipées selon elle, les bornes digitales de plus en plus intelligentes, ou encore les développements à venir autour du DP, incontestable réussite technologique. « De nouveaux développements vont l’enrichir, comme la possibilité d’identifier des mauvais usages des médicaments », précise-t-elle. Cela permettra de renforcer la communication avec les autres professionnels de santé et surtout de « manager » une communauté de patients, ce qui manque aujourd’hui. En effet, il y a encore quelques manques technologiques en officine, notamment du côté d’Internet où, entre les sites vitrines qui ne servent à rien et la vente en ligne pure et dure, il existe un espace non utilisé par les pharmacies qui permettrait d’animer de véritables communautés de patients. Autre regret exprimé par la consultante, la faible automatisation des officines en France, seulement 10 %, alors qu’elles sont selon elle étouffées par les activités logistiques sans valeur ajoutée. Sans doute le prix élevé des robots et automates explique le relativement peu d’intérêt des pharmaciens pour ces technologies, alors pourtant qu’elles apportent de nombreux avantages, affirme-t-elle en substance.
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