UN ENTRETIEN AVEC AXEL KAHN

« La thérapie génique est sortie du ghetto des thérapeutiques expérimentales d’avenir »

Publié le 18/04/2013
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Marier médecine, éthique et philosophie, tel est le pari quotidien du Dr Axel Kahn. Cet humaniste militant, l’un des plus grands généticiens français, explique au « Quotidien » sur quelles bases se construisent les thérapeutiques de demain. La thérapie génique y trouve naturellement une place de choix. Mais elle ne peut pas tout, prévient-il : « La médecine personnalisée est une réalité, elle ne doit pas devenir une illusion ». De même, à ceux qui veulent croire à une quête possible de l’immortalité, le sage répond que si « nous sommes bien à l’orée d’un temps où il sera possible de ralentir le vieillissement biologique lui-même, il ne s’agira en aucun cas d’un pas vers « l’immortalité ».
Axel Kahn : " Nous sommes à l’orée d’un temps où il sera possible de ralentir le vieillissement...

Axel Kahn : " Nous sommes à l’orée d’un temps où il sera possible de ralentir le vieillissement...

LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Dans un ouvrage récent que vous avez préfacé (Herbes, magie, prières), vous rendez au passage hommage à certains comportements de soins instinctifs hérités du monde animal. La pharmacie du troisième millénaire nous éloignerait-elle de ces instincts de soins ?

DR. AXEL KAHN.- L’une des sources du savoir thérapeutique est « empirique », il découle de l’observation des effets bénéfiques de pratiques au départ dénuées de vraies justifications rationnelles. Dans les temps modernes, la médecine naturelle et traditionnelle reste source d’inspiration pour isoler les substances actives responsables des effets observés. Un autre moyen d’orientation vers des composés à potentiel thérapeutique est l’observation de la nature, c’est-à-dire de mécanismes de défense qui ont été sélectionnés par l’évolution. C’est là le point de départ, entre autres, de l’isolement de la pénicilline et de nombreux autres antibiotiques, de divers anticancéreux tel le taxotère ou la vincablastine, etc. Ces mécanismes du progrès thérapeutiques n’ont pas de raison de disparaître dans le futur.

Comment voyez-vous évoluer la pharmacopée de demain ? La thérapie génique sera-t-elle aussi centrale que le laissent envisager les récents progrès en ce domaine ?

La thérapie génique est maintenant sortie du ghetto des thérapeutiques expérimentales d’avenir, elle a témoigné de son efficacité dans différentes affections génétiques où elle représente la seule solution et est testée dans un petit nombre d’affections acquises. Cela dit, elle reste et, selon moi, restera une méthode de « créneaux », réservés à des situations particulières où les autres approches apparaissent sans perspective. Je ne la vois pas représenter une révolution globale de l’art de soigner demain.

L’acte thérapeutique est de plus en plus souvent guidé par la génétique. Trouvera-t-on demain un pilulier dans le berceau des nouveau-nés ?

La médecine personnalisée est une réalité, elle ne doit pas devenir une illusion. Elle permettra de mieux en mieux d’adapter la thérapeutique aux mécanismes moléculaires responsables de la maladie et de ses symptômes chez une personne donnée et de se garantir de certains effets indésirables des médicaments. En revanche, nombre des situations pathologiques n’auront pas de facteurs significatifs de prédisposition génétique (les accidents et, pour l’essentiel, les réactions individuelles aux accidents de la vie), ou alors, ce sera le cas le plus fréquent, seront de simples déterminants de la susceptibilité aux facteurs de l’environnement quels qu’ils soient, nutritionnels, toxiques, infectieux, psychiques, etc. Les maladies génétiques où l’effet de l’environnement agit peu sont très minoritaires.

Y a-t-il, selon vous, en thérapeutique moderne comme une quête de l’immortalité ? Faut-il réprimer cette tendance ?

La recherche sur le vieillissement et ses mécanismes a fait de tels progrès que nous sommes à l’orée d’un temps où il sera possible de ralentir, dans une certaine mesure, le vieillissement biologique lui-même. Il s’agira bien d’un ralentissement qui accompagnera la tendance à un accroissement progressif de l’espérance de vie à la naissance, en aucun cas d’un pas vers « l’immortalité ». Chez les animaux d’expérience les plus simples utilisés en laboratoire, la mouche et le vers, on sait prolonger leur vie, en aucun cas les rendre immortels.

Quelle place doit, selon vous, tenir la réflexion éthique dans l’acte pharmaceutique ?

La santé est à la fois un marché considérable, de l’ordre de cinq mille milliards de dollars par an, et un droit de l’homme reconnu par les textes nationaux et internationaux, celui d’accéder aux meilleurs services de santé disponibles sans préjudice du sexe, de l’ethnie, des croyances et de la richesse. Cette nature double de la santé qu’il ne faut jamais oublier pose et posera d’irréductibles difficultés éthiques. Par ailleurs, la question éthique qui devra continuer de se poser à tous les stades du progrès des connaissances et des techniques en médecine et autres techniques du corps est la suivante : le nouveau pouvoir d’agir acquis respecte-t-il l’humanité des femmes et des hommes ? Constitue-t-il pour eux une meilleure chance d’épanouissement - et alors il sera éthique d’en user - ou bien recèle-t-il une menace pour l’autonomie d’autrui, sa sécurité et sa « dignité » ? Et dans ce cas le rôle de la réflexion éthique sera de se prémunir de ces périls.

› PROPOS RECUEILLIS PAR DIDIER DOUKHAN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3000
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